HIC EST SANGUIS MEUS, LA CAPELA, PARIS

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Hic est sanguis meus – Exposition et performances à La Capela, 20 Philippe de Girard 75010 Paris.

Si vous pensez que vous êtes libérée, vous devriez considérer l’idée de goûter votre propre sang menstruel. Si cela vous rend malade, vous avez encore beaucoup de chemin à faire.”
Germaine Greer, The Female Eunuch.

Hic Est Sanguis Meus, collectif d’artistes, crée par la chorégraphe Paola Daniele, est l’aboutissement de plus de trois années de recherches, de résidences et d’expositions d’artistes autour du sang des femmes. Stricto sensu, le sang des femmes se réfère à l’objet d’un tabou dans la majorité des cultures : les menstrues. Cette communauté d’artistes (ils sont environ soixante-dix à en faire partie, plus les collaborateurs occasionnels) questionne, réfléchie, communique et met en commun ses différentes visions du sang de femmes. Les règles, et notamment tous les tabous que celles-ci sous-entendent, sont le prétexte, et le point de départ pour parler de la place des femmes au sein de notre société, de leurs luttes, des coups qu’elles essuient et de leur émancipation progressive au fil de l’espace et du temps. C’est à travers la création et l’expression artistique que cette exploration prend vie, un chemin fait de plusieurs années de recherches autour des menstruations, qui aujourd’hui aboutissent à un nouvel épisode, le sixième depuis la création du collectif : l’exposition à La Capela. La programmation a été riche et variée, autant de formes et de propositions (lectures, performances, projections, conférences, ateliers, tables rondes, concerts et DJ/VJ sets) ont été l’occasion pour se ressembler et se confronter encore et encore sur cette question qui provoque toujours de l’embarras.

Pourquoi parler du sang féminin ? Parce qu’il a été et il est encore un sujet tabou, le fait même de prononcer le mot menstruation gêne. Nous ne cessons alors pas d’y trouver de jolis synonymes, comme si le fait même de prononcer le mot menstruation était une honte. Carla Monteforte, écrivaine, artiste du collectif, profite de l’exposition à La Capela pour présenter au public « Cosa Nostra » une très longue liste de différents noms employés couramment en Italie (d’où elle est originaire) pour se référer au sang des femmes. Cette difficulté à parler ouvertement des règles, cette gêne à prononcer le mot est emblématique de la culpabilité que ce phénomène naturel éveille en nous : le cycle menstruel comme symbole de malédiction, d’impureté, de péché.

Chaque mois l’utérus évacue une partie de la muqueuse utérine (endomètre) en laissant écouler du sang par le vagin. Aussi banal et naturel qu’il puisse être, cet événement, qui concerne toutes les femmes, reste un sujet que beaucoup ont encore du mal à aborder. L’artiste Anaïs Morisset, alias Ut Barley Sugar, raconte ainsi le moment des règles : « la vidéo Dolor (présentée à La Capela) évoque de manière onirique l’endométriose, tout en énumérant des superstitions autour des règles, During my period, une installation avec des fils de laine montre une beauté dans l’écoulement en même temps qu’une contradiction : les menstrues provoquent une hypersexualité et une timidité ».

Pendant trente ou quarante ans, la vie d’une femme est marquée par ces épisodes : douleurs physiques et changements émotionnels nous traversent et s’emparent de nous. Alors, pourquoi encore aujourd’hui au moins 500 millions de femmes dans le monde « n’auraient pas les moyens matériels de gérer dignement leurs règles » ? Reporte la journaliste Abigail Jones d’après un rapport de l’Unicef et de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) paru en 2015.

Tout au long de l’histoire, l’apparition des menstruations a été synonyme d’impureté. La tradition juive voulait, par exemple, que l’écoulement du sang soit un état de souillure pour les femmes. A l’époque romaine Pline l’Ancien dans le livre 28 de son Histoire Naturelle écrivit : “Le contact avec l’écoulement menstruel de la femme rend le nouveau vin aigre, fait se flétrir les récoltes, fait sécher les graines dans les jardins, fait tomber les fruits des arbres, obscurcit la surface brillante des miroirs, émousse l’acier et affaiblit l’éclat de l’ivoire, tue les abeilles, fait oxyder le fer et le bronze, et provoque une horrible odeur qui remplit l’air… ».

Dans le Lévitique de l’Ancien testament, nous pouvons lire des préceptes tels que “Quiconque la touche est impur jusqu’au soir » ou encore “Si un homme couche avec elle, elle lui transmet son indisposition : il est impur pour sept jours ; tout lit où il couche est impur.”. L’évêque Théodore de Canterbury en 690 interdisait « aux femmes ayant leurs règles de visiter une église ou de recevoir la communion. Les femmes restaient impures durant les 40 jours après avoir mis au monde un enfant. ».Ceux-ci ne sont que certains exemples parmi tant qu’on pourrait ici transcrire d’une histoire qui nous a conduit jusqu’à stigmatiser les menstruations (et le corps des femmes).

Le sang menstruel devient alors (et aussi) le lien avec l’histoire, avec la tradition, comme l’œuvre de FUR Aphrodite, où sur un petit prie-Dieu, le sang féminin se mélange au sang sacré, la vierge et la Madone aux femmes communes, le corps à l’esprit. Car nous les femmes avons été dépeintes tantôt comme des saintes, tantôt comme des sorcières, mères et maîtresses, c’est par notre corps que la subordination et marginalisation se sont faites.

Ne pas avoir peur d’évoquer les menstruations est une opportunité pour les femmes pour redécouvrir notre corps, nos parties intimes, une chance de connaitre notre vagin et de ne pas en avoir honte. C’est dans cette perspective que Moïra Dalant, dont les images ornent discrètement les murs de La Capela, a demandé à des femmes de photographier leur vulve : « La thématique du sang des femmes prise au sens large est aussi celle de leur corps, de leurs luttes, des coups qu’elles essuient et de leur émancipation progressive au fil de l’espace et du temps. ».

Dans cet esprit, Paola Daniele, à travers sa performance I capelli della strega. Una danza con Zeus, présentée en mars 2016 à Naples, propose une danse de transe, un voyage au centre du corps et de la terre. Une danse avec l’artiste islandais Halldór Ásgeirsson qui fait fondre avec un chalumeau de la pierre volcanique du Vésuve sur un bloc de sang menstruel glacé : les menstruations de la terre rencontrent les menstruations de la femme.

L’exposition à La Capela est aussi l’opportunité de présenter des performances liées à l’univers féminin, de créer ainsi un contact plus physique entre les artistes du collectif et le public. A cette occasion la chorégraphie Amor Proprio, où dix artistes du collectif Hic Est Sanguis Meus ont pris part à une danse-jeu d’enfance sur des notes de l’accordéoniste Claude Parle, a été présentée lors du vernissage du 25 janvier 2017. Lors du finissage, x^2+1=0, une création de Paola Daniele inspirée par l’unité imaginaire, a questionné ce risque pour les petites filles de soumettre leur imagination dans ce délicat passage de l’enfance à l’age adulte, en hommage au mathématicien et écrivain Lewis Carrol qui a été précurseur dans la formulation de ce concept.

« Il est nécessaire de montrer ce qu’est ce sang. Il faut parler des menstruations. Par la voie de l’art dans toutes ses formes, notre collectif a vraiment pour ambition d’ouvrir le dialogue et la réflexion car les menstruations n’ont pas à être une honte, mais une force. Et une prise de conscience est nécessaire, il faut que les femmes et les hommes, adultes et enfants entendent parler de l’endométriose, des taxes sur produits hygiéniques, des réclusions sociales dues aux menstruations et d’autres sujets liées aux règles. Hic est sanguis meus, c’est une guilde pleine de sens, nous sommes des femmes et des hommes, de nationalités différentes, qui souhaitent briser le tabou du sang des femmes. ».
(Ut Barley Sugar, artiste de Hic est sanguis meus).

Il faut donc, continuer à imaginer et ne nous faisons pas d’illusions, ce n’est pas parce que le temps des bûchers ou des asiles se sont achevés que nous pouvons enfin accepter notre corps aux yeux du monde. Nos combats sont toujours d’actualités et nos engagements nécessaires, comme les démontrent les dernières mesures prises par le nouveau président des USA Trump à propos de l’avortement. C’est dans ce contexte que le travail mené par le collectif Hic est sanguis meus est essentiel.

Cristina Catalano

Pour découvrir le travail et le monde de chaque artiste et en savoir plus sur leurs démarches, rendez-vous sur le site du collectif http/www.hicestsanguismeus.com

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Images : I capelli della strega – photo Nicoletta Penabianco / x^2+1=0. photo Marie Rouge

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