FESTIVAL MYTHOS, RENNES : L’ETAT DU MONDE

Festival Mythos 2017 – Rennes – 31 mars – 9 avril 2017

21 ans que cela dure et ce n’est pas prêt de s’arrêter si on en croit à la fois la qualité des spectacles proposés et l’affluence du public qui s’y rend…

Dans l’immense parc Tabor, au milieu de la Ville de Rennes, se dresse force chapiteaux et théâtres en plein air qui font l’essentiel de ce festival Mythos dédié aux récits, au théâtre, aux concerts et maintenant au fooding (pardons pour les amoureux du français ; je dirais moi de la bonne bouffe et des chefs étoilés). Tous les plaisirs réunis dans un même festival. Enfin, c’est heureux !

Première incursion avec le spectacle de Kopani Ibao et ce Victoire Malgloire qui se joue dans un théâtre de verdure improvisé pour l’occasion… Deux comédiens venus de l’Ile de la Réunion racontent l’enrôlement de Victoire Malgloire dans la première guerre mondiale et cette épopée pleine de morts. Magnifiquement interprété par Valérie Cros et Didier Ibao, cette histoire écrite par Sully Andoche et Barbara Robert raconte l’histoire d’une époque. Un épisode de notre histoire où, tout d’un coup, le fait d’être noir ou jaune ne posait pas de problème pour être français ! L’originalité de ce spectacle c’est de faire la part belle au créole et pour une fois c’est le français qui se sent exclus. Pas banal et utile aussi pour entrer dans le spectacle et ses contradictions sociales vécues. C’est un vrai périple dans la guerre 14/18 puisqu’on passe de La Réunion à Diego Suarez, Marseille, Gallipoli, Salonique, Verdun, Paris, Monastir – et ses moustiques fatal aux soldats, surtout ceux venus de la Réunion – la Macédoine et pour finir à Uskub en 1918. On nous avait bien dit que ce serait la der des der avec 9 millions de morts. On recommencera en 39/45 mais cette fois avec 60 millions de morts. On se demande à quoi toutes les déclarations du type « plus jamais ça » ont servi puisqu’on est au bord de recommencer…

Cette leçon d’histoire se trouve tout à fait renforcée et illustrée par une vraie leçon de géopolitique linguistique avec le spectacle Mgoulsda Yaam qu’on pourrait traduire par « depuis Ouaga ». Magnifique performance où la langue tient lieu de prétexte pour savoir si, oui ou non, le 30 octobre 2014 il y a eu une révolution à Ouagadougou, la capitale du Burkina fasso. Aristide Tarnagda – impressionnant comédien – et Charline Grand européenne bondissante forment un duo qui arrache l’émotion. L’ensemble est dirigé avec subtilité par Alexandre Koutchevsky, nom qu’il faut garder dans un coin de la tête tant il s’apprête à faire de grandes choses. En plein air, dans la cour (sans S) d’une école maternelle (symbolique !), sur des tabourets, les spectateurs sont devant une scène de la vie contemporaine. 2014, c’est hier. C’est frais. Et pourtant, il s’est déjà passé tellement de choses horribles dans le monde depuis le départ de Blaise Compaoré. A la tête de ce pays depuis 27 ans, on aurait pu penser que sa propre conscience l’aurait conduit à se retirer de lui-même pour profiter de ses richesses et du reste de ses jours. Et bien non. Il a fallu un soulèvement du peuple soutenu par la France pour que ce Président quitte le pays. Pathétique. Pour raconter ça, le récit passe par des histoires, la relation entre les deux comédiens Charline qui s’efforce d’apprendre le Mooré et Aristide qui refuse d’écrire en français car, c’est pour un noir du Burkina fasso une « dictature » et de conter comment, dès la colonisation, pour bien faire comprendre aux autochtones où était la force et le pouvoir, on suspendait aux cous des enfants un os de chien ou, pire, de mouton si celui-ci utilisait sa langue maternelle, un des 60 dialectes de la région. Qui aimerait parler cette langue depuis ? Mille poussins font peur à l’épervier rappellent les auteurs, il faut pourtant que ces poussins soient sacrément musclés…

Autre découverte de ce festival Le Fils de Marine Bachelot Nguyen sur une idée de David Gauchard qui le met en scène avec beaucoup de maîtrise. Ce qui marque à la fin de ce spectacle c’est l’audace des programmateurs du festival de le montrer dans la ville même de l’intrigue tirée, comme on dit au cinéma, d’un fait réel. Voyez plutôt… Une famille. Les parents sont pharmaciens. Ils ont deux enfants. Des garçons. L’un, Anthony casse cou, beau gosse, l’autre Cyril plus fin, qui joue du piano, qui reste dans les jupons de sa mère… On voit venir le coup d’autant que cette famille n’est pas particulièrement progressiste puisqu’elle sera au cœur de la fronde menée par « la manif pour tous » lors du vote de la loi Taubira. Rare de voir un texte traiter aussi pertinemment d’un fait contemporain aussi clivant. L’auteur prend le parti de la famille catho pour décrire le calvaire d’un des fils qui finira mal. On ne vous en dit pas plus. Le spectacle tient grâce à Emmanuelle Hiron prodigieuse. Elle est au bord d’un plateau rond de bois clair. Dans son dos un clavecin contemporain qui servira. Le bras gauche coincé à la hauteur de son aisselle, sa main tenant le coude du bras droit. Cette position très caractéristique des bourgeoises des beaux quartiers… La trouvaille de cette pièce, outre le thème, c’est son traitement dramaturgique qui consiste à donner le point de vue de la famille mais en mettant systématiquement les spectateurs du côté des opposants à cette vision rétrograde d’une société qui bouge, qui évolue. Cela passe essentiellement par l’adresse d’Emmanuelle Hiron au public avec des « vous auriez fait ça vous ? », laissant le temps d’une réponse de la salle qui ne viendra pas… Et là, notre cerveau, tous les cerveaux des spectateurs se mettent en marche et répondent mentalement en émettant des hypothèses. C’est efficace. C’est poignant, tragique, engagé au bon sens du terme. C’est politique. C’est contemporain. Certainement un des beaux moment du OFF 2017 puisque le spectacle sera repris à la Manufacture, haut lieu de la création de qualité du Festival.

Petit tour ensuite du côté de Keren Ann qui vient avec ses deux musiciens (batterie & basse) se rappeler à notre bon souvenir. Si la fumée n’est pas son alliée, sa voix dépasse sa présence sur scène qui reste très discrète. Pas le genre à vous faire casser les chaises de la salle, plutôt plaide et coin du feu. Logique avec son répertoire folk – country. Quelques beaux morceaux avec notamment la reprise de Jardin d’Hiver qu’elle avait écrite pour Henri Salvador avec Benjamin Biolay. Beaux moments aussi avec l’harmonica qui nous plonge inexorablement dans les USA des cowboys. On ne boude pas notre plaisir.

A Vingt kilomètres de là, dans le Parc Léo Lagrange, un mythe nous attend, celui de Polyphème. Magnifique histoire de Galatée, nymphe, déesse de la mer, mortelle d’une beauté à couper le souffle et qui attend le retour de Akis son bien aimé. Elle le fait dans une île où elle s’est retirée mais cohabite avec le monstrueux cyclope Polyphème, laid, puant et gluant qui fait la cour à Galatée. Le spectacle se passe en plein air, donc. Il se déroule dans des petites guérites qui servent de théâtre dont ne dépasse qu’une tête, forcement. Le projet a le mérite de poser une bonne question « quand on a un monstre en nous et qu’on ne peut en parler à personne, comment fait-on ? ». Et si le monstre cache toujours un trésor et qu’il faut de nombreux subterfuges pour le lui voler, le jeu en vaut-il toujours la chandelle ?… c’est l’expérience d’Akis qui deviendra le gardien, malgré lui, du trésor de Polyphème… La forme en plein air et déambulatoire est originale mais presque superflue tant les comédiens de la Compagnie Version 14 jouent « théâtre traditionnel » sans exploiter justement tous les artifices de la nature et si la structure en forme de scaphandre géant est incongrue dans les champs de Liffré, cela ne suffit pas à apporter magie et étrangeté au projet. Tout ceci devra sans doute être retravaillé pour atteindre son but.

Il faut revenir au centre ville de Rennes, dans la somptueuse l’église du Vieux Saint-Etienne pour voir Sous le pont une pièce de Abdulraman Khallouf, mise en scène par Amre Sawah. Autant le dire, ce spectacle manque encore d’un petit quelque chose pour devenir excellent. Il faut trouver l’astuce pour faire basculer la chose dans le sens voulu par l’auteur et le metteur en scène, à savoir une composition dramatique réalisée in situ. Ce spectacle parle des réfugiés sous les ponts. Celui dont il est question est Syrien. Le bilinguisme assumé et très bien traité. Il fait entendre cette langue arabe magnifique et musicale. L’intrigue est à la fois connue mais traitée de façon originale. Tous les sujets évoqués dans nos journaux télévisés ou magasines papier sont concentrés dans de courtes scènes. Ils s’enchainent mais la résolution de la situation de ces êtres sous les ponts étant en train de se passer, difficile de conclure sans chercher à être forcément réaliste puisque c’est le parti pris de cette équipe. On est pas loin du but. Il suffit de pas grand chose pour que le moment où le quatrième mur tombe, la chose paraisse plus cohérente et n’anéantisse pas d’un doute la sincérité de la première partie.

Le Musée de la danse accueillait quant à lui le projet des Suisses d’adoption Yan Duyvendak et Omar Ghayatt, Still in Paradise. Forme tout à fait originale qui oscille entre un théâtre participatif poussé au paroxysme jusqu’à faire voter le public pour qu’il voit les séquences qu’il souhait du spectacle et un théâtre documentaire qui nous permet de traverser à travers différentes situation des points de vue que nous n’aurions pas nous même imaginés. Yan Duyvendak et Omar Ghayatt collaborent depuis plusieurs années. Le travail consiste à beaucoup échanger leurs points de vue, un peu comme les chercheurs, à mettre en oeuvre leurs trouvailles pour évaluer leur pertinence. Ainsi sont nées des séquences – 12 actuellement – qui sont des sortes de théorèmes de leur approche du monde et des choses.

Après avoir présenté les douze chapitres de leur laborieuse recherche, ils demandent au public de voter pour celles qu’ils veulent voir. Vote à main levée qui va déterminer ce choix. La majorité l’emporte, normalement…
Pourrons nous admirer « Djahad Beauté » ?
Serons nous assez nombreux pour apprécier « De l’autre coté » ?
Notre capacité à comprendre le monde résistera-t-elle à « Trois vaut mieux que rien » ?
Notre sens du risque nous autorisera-t-elle à voir « Boom ! » ?
Notre voyeurisme sera-t-il rassasié par « L’intimité sexuelle » de Omar Ghayatt, parfait musulman Egyptien ?
Notre approche de l’orient et de l’occident laissera-t-il la place à « Poésie » ?
La relation entre ces deux conceptions du monde laissera-t-elle de la place à l’amour avec « I love You » ?
Au, au contraire, notre intolérance sera –t-elle renforcée par la séquence intitulée « Burqa » ?
Le cinéma sera-t-il nous réconcilier avec « Action » ?
La situation de la Syrie nous sera-t-elle plus crédible lorsque Georges Daabout, comédien Syrien qui a rejoint le projet, nous sera livrée dans « Home » ?
Tout ceci n’est-il donc pas une vue de l’esprit qu’une « Cartographie cérébrale » viendra confirmer ?
Notre capacité à faire confiance sera-t-elle récompensée par « Les yeux fermés » qui nous verra ouvrir sans crainte des valises ?

On le voit, le choix est vaste et, pour ma part, j’ai pu en voir quelques une des séquences, après une discussion timide mais qui donnait déjà l’arc de tension de cette histoire entre l’occident et l’orient à travers la question « que savez-vous de l’Islam ?

Il serait vain de raconter les séquences car je ne suis pas sur que le déroulé soit toujours le même d’un spectacle à l’autre, mais le fait est que dans Djahad Beauty, Yan Duyvendak raconte comment ce projet – puisque c’est plus une démarche à vie qu’un spectacle – a commencé. Il avait décidé de rencontrer des terroristes pour tenter d’expliquer les choses de leur point de vu et non pas seulement accepter la version occidentale livrée à longueur de temps par les médias lors des attentats du 11 septembre et après, longtemps après. Tant et si bien que Yan Duyvendak se retrouve au Caire, doté d’une bourse et tente de rencontrer des barbus issus des mouvements islamistes violents égyptiens. Au lieu de cela, il tombe sur un monde qui ne correspond en rien aux clichés et son escapade nocturne dans le quartier réputé dangereux de Warak ne laissera pas les traces attendues. C’est assurément le point central du projet.

Les trois protagonistes de Still in paradise nous montrent alors un film, un montage qui va sublimer nos fantasmes sur la situation dans le monde arabe. D’Aladin à des films à peine croyables sur la supériorité occidentale sur le monde arabe en général « Action » est un bijou de clichés où le monde blanc dépasse en tout les Arabes. Pas facile de tirer son épingle du jeu avec autant de fantasmes.

Les expériences qui se déroulent dans l’espace clos de la salle de présentation de Still in Paradise où nous sommes en chaussettes, sans sac ni manteaux, opérant sans cesse des migrations d’un coin à l’autre de la salle, sont fortes et nécessitent une disponibilité d’esprit réelle, sans pour autant devoir nous oter notre libre arbitre, bien entendu.

Les Burqas est un épisode qui va nous placer nous occidentaux dans la situation de ce que nous pourrions vivre, si… si nous nous convertissions à l’Islam en occident. D’un côté les hommes sont priés d’entendre toutes les balivernes qui expliquent pourquoi, en 2017, les femmes qui ont pourtant luté pour leur émancipation, sont priées de rester voilées de la tête au pied… et ceci dans leur intérêt bien sur !… de l’autre les femmes, celles qui le veulent, revêtent une Burqa, une vraie pour sentir cet habit oppresseur sur leur dos. Image marquante du retour des hommes dans la pièce ou toutes les femmes – majoritaires – les accueillent en habit noir.

Suivra un poignant échange en arabe traduit en français entre les points de vue de Georges Daaboul le Syrien et son ami Omar Ghayatt l’Egyptien. Moment où l’on comprend toute la différence de vision du monde avec d’un côté l’approche de l’Egyptien plein de sa culture dominante en orient avec ses pharaons et ses pyramides et celle du Syrien plus habitué à des compromis géopolitiques…

Après ce moment de démocratie avec la votation des parties que le public voulait voir, vient la partie imposée intitulée « L’autre » qui est toujours en cours d’expérimentation et qui vient rejoindre les 12 séquences possibles.

D’un côté Yan Duyvendak qui rencontre un réfugié Kurde et de l’autre Omar Ghayatt qui ne croit pas un mot de son histoire. Improbable mais réaliste dialogue entre deux personnes qui se contredisent dans leurs propres aspirations.

« Comment expliquer que dans un des plus grand camp de réfugié d’Arabie Saoudite, sur 2 millions de personnes il n’y ait aucun Syrien » demande Omar Ghayatt. Débute alors un échange où l’un veut convaincre l’autre que l’occident, principal colonisateur du monde arabe est en train de payer à rebours ses dettes vis à vis de ses peuples car, à force d’assener que l’Europe et l’Occident étaient supérieurs, les réfugiés on plus envie de France que d’Arabie Saoudite. Ils rêvent d’Europe. A cela Yan Duyvendak répond qu’un réfugié sur dix qui se trouve au Liban, en Turquie sont Syriens… débat, vaste, interminable… Omar Ghayatt prédit un étouffement par les réfugiés non seulement des populations locales mais de toutes leurs valeurs à commencer par la culture… On a déjà entendu cela quelque part. Finalement, pour « mettre à l’épreuve » l’histoire du réfugié rencontré par Yan Duyvendak, les trois artistes se mettent à décrire et mettre en scène le périple incroyable et couteux laissant, il faut bien le dire, tout le monde dans le doute.
Tout ceci est-il vrai, comme le demandait les conteurs en présentant « Poésie » ? Toute la question est là et le spectacle n’apporte pas de réponses. Il est justement un livre ouvert. Ouvert à des points de vue. Ouvert à des questions. Là aussi le bilinguisme assumé apporte une dimension importante au – on n’ose pas dire spectacle tant cela n’a rien à voir ! – disons alors projet… A découvrir cet été à la Manufacture dans le cadre de la programmation Suisse à Avignon OFF 2017.

On peut le dire sans flagornerie, Mtyhos est un grand festival. Il ose des choses qu’on voit assez peu ailleurs notamment en France. Il ose des mélanges de langues sans en faire un étalage, comme si c’était naturel d’entendre en France, dans le climat actuel, de l’arabe et du français, du Mooré ou de l’anglais. Il ne tape pas du pied parce qu’il ouvre une porte sur l’Afrique avec des spectacles qui ne sont pas là pour décorer mais bien questionner, interroger, déranger, conforter et parfois même distraire ou contenter de beauté. Cette 21ème Edition est un succès rien que par l’audace d’affirmer cette ligne qui apporte à Rennes un véritable recueil de l’état du monde à l’instant T sans mystification, avec les témoins vivant qui disent et racontent les choses. A nous de les écouter et de les entendre.

Emmanuel Serafini

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