JOSETTE BAÏZ & GRENADE, « AMOR » TANBIEN

Josette Baïz : Amor tanbien

Depuis plus de vingt ans, Josette Baiz dirige d’une main de maître la Compagnie Grenade. Cette compagnie va de pair avec le Groupe Grenade, l’expérience la plus passionnante permettant aux jeunes – même très jeunes – enfants de pratiquer la danse, le tout à Aix en Provence…

La chorégraphe vient de nous offrir (c’est le bon mot ! ) une nouvelle tasse dans laquelle nous aimons tremper notre madeleine chère à Marcel Proust, avec, pensez donc, pas moins de huit extraits de chorégraphies qui permettent de voir, ou de revoir, des œuvres comme Noce de Preljocaj ou Welcome de Bouvier – Obadia, signatures confirmées de la danse française, qualifiée naguère de « danse d’auteurs » .

Nous avions remarqué cet été Les déclinaisons de Navarre (2016) petit bijou de Claire Laureau et Nicolas Chaigneau, duo présenté dans le OFF dans la programmation de La Manufacture… Belle idée donc de Josette Baiz de prendre ce petit opus, variation galante de la drague au moyen âge, comme fil conducteur ; traduction aussi de son état d’esprit espiègle et décalé vis à vis du sujet qu’elle compte traiter. Elle en fait de Les déclinaisons de Navarre le lien entre les toutes les pièces donnant ainsi une respiration drolatique à des ouvres qui ne le sont pas toujours.

Josette Baiz compose un grand puzzle fait de pièces rapportées qu’elle juxtapose les unes aux autres formant un paysage, son paysage, un univers bien à elle, une façon d’aborder le monde avec ses références et ses envies…

Amor, le nouveau nom de cette compilation de danse, commence avec des airs d’orient et de Tunisie puisque Josette Baiz sort de ses cartons un duo qui signala les francos-tunisiens Aicha M’Barek et Hafiz Dahou sur la scène internationale… Khallini Aïch (2004) qu’on pourrait traduire par « ma vie à t’espérer » est l’introduction parfaite pour une ode moderne consacrée à l’amour.

On retrouve dans ce court extrait toute la danse physique et démonstrative de Hafiz Dhaou qui, tel un paon faisant la roue, cherche à séduire sa belle qui ne se laisse pas faire, loin s’en faut… Caractéristique de cette danse aussi, cette chandelle sur la tête exécutée dans l’énergie, dans l’enchaînement des autres mouvements. Cet enchevêtrement de bras, le ventre de l’homme contre le dos de la femme, reste un geste peu vu ailleurs et très convaincant.

Josette Baiz enseigne aussi bien la danse classique que le Hip Hop ou les danses orientales et ça se voit avec la reprise de Unitxt (2013) de Richard Siegal. Montées sur pointes, les filles sont portées par des garçons qui ne manquent pas de panache dans un vocabulaire plus classique. C’est avec la reprise de Hasta Donde… ? (2008) de Sharon Fridman qu’on peut voir l’étendue du talent des danseurs qui apportent à ce duo une fraîcheur, une vivacité au point qu’on se demande comment ils respirent dans cette chorégraphie haletante, ciselée, très graphique…

On poursuit notre voyage dans le temps avec la reprise de Clash de Patrick Delcroix (2008) et Les indomptés de Claude Brumachon (1982). Mais c’est évidement avec la reprise de Noce – mythique – de Angelin Preljocaj (1989) et du duo Welcome de Bouvier – Obadia (1989) que nos sens sont mis en éveil et singulièrement notre mémoire.

Dans Noce, la compagnie est très appliquée et ne trahi pas la précision du geste voulue par le chorégraphe qui suit à la lettre la partition de Stravinski tout en plongeant l’action en Albanie, sa nation d’origine, ce qui permet à Preljocaj de signer à la fois une oeuvre universelle, reprise dans le monde entier dont à l’opéra de Paris, et très personnelle.

C’est sans doute avec Welcome que le projet montre à la fois sa force et sa réussite car on constate avec surprise la difficulté de cette pièce très cinématographique où le couple mythique des grandes heures de la danse contemporaine française se lançant des poignées de talc offrant un paysage lunaire sur une musique de Arvo Pärt qui plonge définitivement la pièce dans une modernité intemporelle.

On l’aura compris, le tour de force de ce nouveau projet est aussi bien la résurgence de notre patrimoine dansé que la dextérité qu’il faut pour les danseurs de passer de l’un à l’autre… Et c’est la révélation de Amor, cette jubilation de danse amenée par des danseurs, jeunes, engagés, performants mais aussi chargés d’une histoire et que Amor parachève en leur donnant l’occasion de traverser presque trente ans de danse en une soirée où l’on pouvait apercevoir dans la salle la plus part des auteurs des pièces venus eux mêmes les enseigner aux danseurs. Émouvant moment d’un patrimoine qui renaît avec Amor qui porte haut l’idée et les couleurs de la danse façon Baiz, jubilatoire, exigeante, communicative.

Emmanuel Serafini

Amor – photo Leonard Ballani

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