« ILIADE », BEAUCOUP DE BRUIT POUR TROIE FOIS RIEN

« Iliade » d’après Homère – mes Pauline Bayle – Théâtre des Quatre Saisons de Gradignan (33).

« Iliade » de Pauline Bayle : beaucoup de bruit pour Troie fois rien

On aime les adaptations contemporaines d’œuvres appartenant à la mythologie – « ce rêve éveillé des peuples » selon la très pertinente formule de Paul Ricœur -… du moins celles qui proposent un angle de vue inédit permettant de voir et entendre à l’aune de notre contemporanéité des textes à la portée universelle. Mais lorsqu’il s’agit de massacrer l’œuvre princeps sans rien apporter d’autre que le dépérissement de la richesse initiale, le tout sous couvert de la rendre accessible et séduisante cette œuvre mythique en la truffant de procédés aux relents démagogiques avérés, on se dit qu’il y a là « pré-texte » à un hold-up manifeste qui – même si ça marche fort bien vis-à-vis du public, ce qui ajoute encore au « scandale » – ne peut satisfaire l’idée que l’on se fait d’un théâtre résolument contemporain, exigeant, et ouvrant sur des perspectives novatrices.

Pauline Bayle surfe allègrement sur la vague de « facilités » offertes par l’époque, tant au niveau scénographique, de la distribution des rôles que du discours pour justifier son parti-pris de casser les attendus. Une scénographie dépouillée à l’extrême (quelques seaux d’hémoglobine de synthèse, quelques chaises, de la farine, des paillettes, trois fois rien selon les revendications d’un Théâtre Pauvre ici dévoyé, Cf. Jerzy Grotowski), une distribution des rôles volontairement indistincte (hommes jouant des femmes et vice versa), et discours rôdé pour relier cette « liberté prise » à la volonté assumée de casser les clichés identitaires assignant les hommes et les femmes à une place désignée socialement ou encore pour relier cette histoire vieille de plus de trois millénaires à celle de l’Europe actuelle toujours en proie à des conflits.

Et puis comme les Dieux grecs n’avaient rien à envier aux humains en ce qui concerne les passions tristes ou exacerbées qui les habitaient, la metteure en scène va avec une audace remarquable (mdr) traiter leurs (d)ébats sous forme de séquences « vaudevilliennes » à se décrocher les zygomatiques. Ainsi l’épisode inénarrable où Héra, l’épouse délaissée par son divin mari, pour reséduire Zeus va jouer d’un travestissement digne d’une pin-up ringarde ; ruse fort réussie si l’on en juge à l’intensité des ahanements échappés des coulisses où Zeus l’enconne allègrement pensant avoir affaire à quelque autre sujet féminin plus excitant que sa légitime. Auparavant on avait vu Héra réclamer à sa belle-fille, la divine Aphrodite, sa vaporeuse perruque blonde aux boucles en cascades. Si l’on ajoute au tableau que les rôles féminins d’Héra et Aphrodite sont tenus par des hommes, on assiste quelque peu médusés à un remake aux échos parfois de cage aux folles transposé chez Homère avec la péripétie hilarante de l’acteur porteur d’un soutien-gorge pour signifier son identité féminine divine. Le tout – bien évidemment – justifié en filigrane par un second degré de bon ton, sorte de clin d’œil à intention inclusive adressé au spectateur en quête d’épopée.

Mais cela ne suffit pas à recréer le souffle épique de ce poème évoquant les massacres et faits d’armes de la Guerre de Troie, Pauline Bayle en a pleinement conscience, aussi pour ce qui est du combat des hommes, a-t-elle résolument décidé que les comédiens vociféreraient d’un bout à l’autre de leur tirade échevelée et éructeraient les vers d’Homère pour en signifier le souffle puissant. Aucun fléchissement dans l’intensité fougueuse des énumérations des morts pour rappeler que chaque victime était un être singulier, aucune modulation dans l’énonciation de cette épopée homérique à couper littéralement le souffle… des comédiens embarqués dans une galère où ils ont peu à faire avec les enjeux du texte tout occupés qu’ils sont à tenir la longueur de leur (réelle) performance à fonction performative.

Le résultat de cette adaptation « d’après Homère » est un « massacre à l’arrache » qui, loin d’atteindre la splendeur de celui chanté par les aèdes, se complait trop souvent dans une complaisance complaisante propre à complaire à ceux qui verront là l’audace d’une mise en jeu explosive digne d’un pétard mouillé. Non, le théâtre contemporain n’a que faire de ce type d’exercices, ce serait lui faire injure que de l’apprécier à l’aune de cette mascarade in fine prétentieuse dans sa revendication affichée de faire simple au motif d’être proche des goûts du public, adolescent ou pas. La colère d’Achille, qui se voit dépossédé de sa captive par Agamemnon dans le hall du théâtre où s’ouvre à grand renfort de décibels la représentation, augure de la nôtre.

Yves Kafka

photo © Pauline Le Goff

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