« CRITICAL DICTIONARY », UN HOMMAGE DIALOGUÉ A GEORGES BATAILLE
« Critical Dictionary – In homage to G. Bataille » – Galerie Gagosian Paris – du 1er juin au 28 juillet 2018.
L’exposition «Critical Dictionary – In homage to G. Bataille», curatée par Serena Cattaneo Adorno à Gagosian Paris, regroupe une dizaine d’œuvres de différentes époques selon le principe employé par le penseur dans son Dictionnaire critique – une série inachevée d’essais sur la signification philosophique des objets du quotidien ou parties du corps, composée en 1929 – 1930.
Ce principe, décrit par Georges Bataille d’une manière assez alambiquée, est essentiellement l’association libre, puisant sa source dans la psychanalyse freudienne. Placée par les futuristes du début du XXeme siècle, auxquels Bataille fut proche, au cœur de leur pratique artistique et littéraire, elle aura une longue vie et un domaine d’application extrêmement vaste dans la culture occidentale ; et même si la méthode du Dictionnaire Critique n’est pas spécifiquement bataillenne, ni l’exposition en question ne reflète les intuitions les plus profondes (l’ancrage de la nature humaine dans la fragilité et les bassesses du corps) du philosophe, il est néanmoins très rafraîchissant, que quelqu’un d’autre que Jacques Derrida, Edward Saïd et Judith Burtler soit évoqué comme inspiration pour une manifestation artistique.
Les sculptures, installations et tableaux, parmi lesquels des créations de Louise Bourgeois, Anish Kapoor, Wassily Kandinsky et Guido Reni, sont repartis en duos, ou dialogues, chacun autour d’un contrepoint pictural ou sémantique. Pour la sculpture de Donald Judd et le portait de St. Jérôme par Guido Reni c’est la couleur rouge, pour le tableau géométrique, rappelant un motif ornemental de clé grecque par Frank Stella et la statue romaine du IIeme siècle, c’est naturellement l’imaginaire antique, pour l’installation – ampoule de Dan Flavin et Grasses, le tableau expressionniste d’Helen Frankenthaler, c’est le néon – à la fois couleur et type d’éclairage, associé à la société libérale de consommation de l’après-guerre, illuminant ses parkings, centres commerciaux, highways et quartiers chauds. Cette œuvre de Frankenthaler, dans laquelle son talent de faire vibrer tout un paysage derrière le tissu pictural parfaitement abstrait s’exprime avec la plus grande force, c’est un véritable opus magnum de l’exposition.
La juxtaposition des œuvres, créées entre le IIeme et le XXIeme siècles dans tant d’esthétiques différentes crée un champ de tension : dans ce champ, les œuvres, comme électrons libres, établissent des liens spontanés et mettent en lumière les aspects inattendus des unes des autres. L’impression visuelle produite par «Critical Dictionary – In homage to G. Bataille» nous rappelle les paysages fascinants des peintres de la Renaissance, comme Botticelli ou Piero della Francesca, qui, en l’absence de renseignements sur la culture matérielle des personnages des textes antiques et de la Bible, avaient une parfaite liberté de leur inventer une architecture, flore, faune et costumes. Cette liberté, La commissaire de l’exposition Serena Cattaneo Adorno la possède aussi.
Nikita Dmitriev
Images: dialogue KAPOOR | SCHIAVO in the exhibition – DONALD JUDD, untitled, 1991 © 2018 Judd Foundation/Artists Rights Society (ARS), New York – courtesy Gagosian Paris