A LAUSANNE, KIKI SMITH OUVRE TES SENS
Lausanne, correspondance.
Kiki Smith. «Hearing You with My Eyes» – Du 9 octobre 2020 au 10 janvier 2021 au Musée Cantonal des Beaux-Arts (MCBA)-Lausanne.
C’est à un parcours longeant quarante années de création et près de cent oeuvres que nous convie le MCBA-Lausanne et sa commissaire d’exposition Laurence Schmidlin.
La famille Smith s’expatrie aux Etats-Unis (New Jersey) un an après la naissance de Chiara, dite Kiki, née en 1954 à Nuremberg d’un père architecte et sculpteur et d’une mère chanteuse lyrique et actrice. Lors de leur enfance et adolescence, Kiki et ses deux soeurs participent activement aux maquettes préparatoires des travaux de leur père.. Elles sont aussi toutes trois imprégnées des contes que leur lit leur mère. Kiki Smith pratique son art pluridisciplinaire depuis ses vingt ans. Sa première exposition solo a eu lieu en 1982 à New York.
Laurence Schmidlin a choisi de porter un regard inédit sur l’oeuvre protéiforme de l’artiste : la perception sensorielle. En effet, la globalité du travail de Kiki Smith est souvent perçu et commenté (et attesté par elle-même) comme étant un développement du micro au macroscopique. Elle entretient cependant un lien puissant avec les cinq sens. Indéniablement présente dans son oeuvre, l’intuition pourrait en être un sixième. Le public, face à l’attrait figuratif de cette exposition, est irrésistiblement emporté dans l’évocation de sensations personnelles.
Accueilli par une forme humaine dont le ventre ouvert ruisselle de rubans (Untitled, 1992), c’est en quelques sortes notre «deuxième cerveau» qui est convoqué durant la visite de cette exposition qui prend aux tripes. Kiki Smith met en relation l’être et la nature. Animaux, végétaux, cosmos, éléments sont rapprochés et associés au corps humain. Souvent fragmenté, le corps est objectifié autant que magnifié, l’artiste faisant naître des images grâce à un vocabulaire pictural et sculptural diversifié et richement symbolique. Corps de femme en particulier, car celle-ci possède sa propre histoire culturelle et organique.
Déjà en 1982, lors de sa première exposition à New York, Kiki Smith développe des images fortes avec ces quatre toiles lumineuses évoquant la violence domestique et montrant des mains sanglantes saisissant des organes internes (Untitled, 1980-82). Puis les quatre linogravures (How I Know I’m Here, 1985-2000) mélangeant des organes internes, externes ainsi que des postures, témoignent des fonctions vitales des cinq sens. L’artiste s’intéresse de près à l’anatomie qui représente pour elle un prisme au travers duquel étudier le vivant.
Dès la fin des années quatre-vingt, elle réalise ses premières figures en pied (souvent moulées sur elle-même), dont les six personnages de papier mâché suspendus entre ciel et terre encerclés de flamboyants panneaux écarlates. Ou encore l’oeuvre Peacock (1994), saisissante, où une femme recroquevillée et pensive fait face à une roue de paon dont les vingt-huit yeux sont en fait autant de vulves. Avec Puppet (1994), c’est en photographie qu’elle représente par collage des actions telles que mordre et lécher. Plus tard, ses naïfs et délicats dessins au crayon ou à l’encre reprennent les mythes attachés à des figures féminines visionnaires tandis que les bronzes, tel Rapture (2001), retracent des re-naissances liées aux contes intemporels de l’enfance.
La salle des tapisseries est impressionnante et somptueuse. Traversée par une rivière de larmes de verre (Brown water, 1999), les douze tapisseries ont été réalisées sur un métier à tisser mécanique, d’après des collages de dessins et lithographies de l’artiste. Elles célèbrent la symbiose des humains, des animaux, des minéraux et des végétaux.
Sur l’affiche, l’oeuvre My Blue Lake de 1995, montre un panorama mis à plat du volume de la tête de l’artiste, tel un paysage flottant. Et c’est bien ce que retrace cette exposition, une topographie sensorielle de l’art matériel et mental de Kiki Smith.
Martine Fehlbaum,
à Lausanne
+ Visitez le site du MCBA qui propose quatre épisodes d’entretien avec l’artiste (https://www.mcba.ch/expositions/kiki-smith/#entretien-exclusif).
+ Kiki Smith également à la Pace Gallery de Genève : « Light » will examine Smith’s central themes of spirituality, mortality, mysticism, and their interconnections with the natural world. The first exhibition of Smith’s work presented at Pace in Geneva, « Light » will coincide with « Hearing You with My Eyes », a solo-exhibition presented at MCBA Musée cantonal des Beaux‑Arts of Lausanne, from 9 October 2020 – 10 January 2021.
Images: 1- exhibition view at MCBA / 2- « Everywhere (Double Rabbit) », 2010. Crayon de couleur et encre sur papier népalais, 98,4 × 76,2 cm © Kiki Smith, courtesy Pace Gallery. Photo : Tom Barratt, courtesy Pace Gallery / 3- « Curled Up Body », 1995. Bronze blanc et verre, 50,8 × 86,4 × 45,7 cm (figure) et 7,6 × 19,7 × 10,2 cm (verre) © Kiki Smith, courtesy Pace Gallery. Photo: Ellen Page Wilson, courtesy Pace Gallery / 4, 5, 6 exhibition views at MCBA, Lausanne / 7- Exhibition view at Pace Genève / 8- Kiki Smith, Sungrazer VI, 2019, bronze, 93″ × 40″ × 2-3/4″ (236.2 cm × 101.6 cm × 7 cm), Edition of 3 + 1 AP © Kiki Smith – courtesy Pace Genève.