TANIA MOURAUD, « MEZZO FORTE », CEYSSON & BENETIERE KOERICH

TANIA MOURAUD – MEZZO FORTE – Galerie Ceysson & Bénétière – Wandhaff-Koerich, Luxembourg – 03 April – 22 May 2021

Plongée dans l’œuvre immense de Tania Mouraud, Mezzo Forte met en lien différents temps forts de la recherche de l’artiste. Des pièces historiques (Where is the unknown, People call me Tania Mouraud, les séries Black Continent et Words) côtoient des travaux réalisés tout au long des quinze dernières années (parmi lesquels Ad Infinitum, les séries Mots-Mêlés, Shmues, Balafres, Nostalgia, Saudade).

Des écritures se déploient. Depuis les années 1960, elles interrogent la plasticité du langage et le rapport entretenu entre perception et lecture. Elles introduisent le questionnement profondément éthique qu’est celui du point de vue et de la représentation chez l’artiste. À la source de ces lignes qui se dessinent et qui se peignent, se trouvent des poèmes, des haïkus, des citations, des opéras, des lieds, des chants qui dialoguent et dont Tania Mouraud se réapproprie les textes. Ils sont écrits en yiddish, hindi, chinois, anglais, allemand. Leurs typographies, cursives ou d’imprimerie, sont déformées, reformées, re-modelées en marge des canons picturaux traditionnels.

En apparaissent les contreformes dans les séries Black Continent et Words, renversant nos habitudes de perception. Les mots de Gandhi, plus loin, se brisent dans le miroir de WDYCYE? (« Why do you close your eyes? »). Les phrases s’étirent à échelle d’architecture avec les Wallpaintings, jusqu’aux frontières de l’espace et du lisible, exigeant de chacune un temps d’arrêt pour être déchiffrées. Elles deviennent avec les Mots-Mêlés des labyrinthes construits par un programme informatique, transformées en code comme langage international. Les bas-reliefs de la série Shmues (« conversations » en yiddish), font se détacher de la surface des murs des bribes d’une langue assassinée, qui surgissent comme des réminiscences. Se croisent et se mêlent les époques, les alphabets, les idiomes, les signes et les voix.

Plus loin des photographies contemplent avec mélancolie l’état d’un monde abîmé par le temps ou par l’humanité. Là, le vivant bouleversé se décompose, se métamorphose, surgit, et les médiums s’entrelacent. Un paysage lacéré par des extractions minières, telle une chair parcourue de cicatrices, révèle des strates colorées semblables à des couches de peinture (Balafres). Des tournesols fanés se découpent à contre-jour sur un ciel nuageux à la manière des silhouettes d’un théâtre d’ombres (Saudade). Les photographies argentiques d’une nature altérée par l’intervention humaine, prises dans les années 1970 et retravaillées numériquement en 2020, donnent à voir le grain qui envahit l’image, évoquant l’esthétique de gravures anciennes. Les stèles éparses et anonymes d’un cimetière juif roumain semblent tressaillir dans le mouvement qu’induit le vidéogramme (IASI). Hors d’une épaisse couche de neige en Russie, quelques herbes
tracent des signes dans un paysage immaculé tels de subtils coups de crayon sur une feuille (Emergence), tandis que des pneus viennent corrompre un relief qu’ils épousent, se dispersant comme des notes sur la portée d’une partition (Invaders). Des vues enneigées inspirées du film d’Eisenstein, Alexandre Nevski, que composent des horizons, évoquent des peintures minimales abstraites.

Ces scènes sublimes proposent un moment d’arrêt et de contemplation. Face à elles, l’esprit humain est dépossédé de son emprise sur un environnement qu’il croit dominer. Ad Infinitum, en renvoyant à une locution qui en musique indique des mesures que l’on pourrait répéter à l’infini, évoque un temps méditatif et affirme un optimisme serein, sans faille. Tania Mouraud oppose à la peur d’un avenir incertain la beauté d’un monde résilient. Ses œuvres sont des yeux grands ouverts, émerveillés et lucides. Elles invitent à voir plus loin, autrement, à se révolter, à résister aux forces qui détruisent et sèment la mort. La vie toujours ici trouve un chemin, que l’artiste offre à voir.

Cécile Renoult, 2021

Née en 1942 à Paris, France, Tania Mouraud vit et travaille à Colombiers, France Dès la fin des années soixante, le travail de Tania Mouraud s’est inscrite dans une pratique questionnant les rapports de l’art et des liens sociaux en utilisant différents médiums : peinture, installation, photo, son, vidéo, performance, etc. Elle propose de rajouter dans nos appartements standards une chambre de méditation (1968). Elle affiche dans l’espace public sur les panneaux 3 x 4 m son désaccord avec une société glorifiant l’avoir au dépend de l’humain (1977). Elle réfléchit sur les rapports décoratifs de l’art et de la guerre, sur les limites de la perception avec l’aide de l’écriture en créant des « mots de forme » (1989). À partir de 1998, elle utilise la photo, la vidéo et le son dans une forte relation à la peinture pour questionner différents aspects de l’histoire et du vivant.


Images:
1-Tania Mouraud
Emergence 0369 – PH897 – #2/3, 2019
Encres pigmentaires sur papier Fine Art
53.2 x 78.8cm
20.94 x 31.02 in
2-Tania Mouraud
Nostalgia 0421 – PH909 – #1/3, 2019
Encres pigmentaires sur papier Fine Art
58.8 x 88.8cm
23.15 x 34.96 in
3-Tania Mouraud
Nostalgia 0377 – PH1187 – #1/4, 2019
Encres pigmentaires sur papier Fine Art
60 x 90cm
23.62 x 35.43 in
4-Tania Mouraud
Desolation Row F3A2191 – PH852, 2018
Tirage numérique sur papier Fine Art
66.5 x 100cm
26.18 x 39.37 in
Copyright the artist

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