FESTIVAL D’AVIGNON : ENTRETIEN AVEC ANNE-CECILE VANDALEM POUR « KINGDOM »

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FESTIVAL D’AVIGNON : ENTRETIEN avec Anne-Cécile Vandalem pour « KINGDOM » – Das Fräulein Kompanie – mes et écriture Anne-Cécile Vandalem – Cour du Lycée St Joseph à 22h, du 6 au 14 juillet 2021 (relâche le 11)

La dernière fois que nous avions échangé avec Anne-Cécile Vandalem, c’était dans le monde d’avant, pour la création d’Arctique en 2019 au Festival d’Avignon… L’image de ce paquebot arrimé au ponton de la FabriquA annonçait déjà une catastrophe. La metteuse en scène et autrice revient à Avignon, dans la cour du Lycée St Joseph, avec un spectacle inspiré du documentaire saisissant de Clément Cogitore Braguino, ou la communauté impossible qui va donner lieu à une fable épique imaginée par Anne-Cécile Vandalem qui est associée à des comédiens et à huit enfants qui vont reconstituer cet espace de l’impossible…

S’EXTRAIRE DU MONDE

Inferno : La dernière fois que nous nous sommes parlé, vous nous ameniez au Groenland, cette fois-ci, c’est la Sibérie orientale, vous aimez à ce point les voyages et ce grand nord qui semble nourrir votre imaginaire ?

Anne-Cécile Vandalem : En tous les cas, j’aime envoyer mon imaginaire en voyage ! J’ai besoin de me projeter assez loin pour pouvoir imaginer. Ces deux lieux que vous citez, ce sont des endroits qui rassemblent aussi énormément d’enjeux actuels sur lesquels j’ai besoin de m’attarder. C’est aussi le hasard de la rencontre avec le documentaire de Clément Cogitore qui a fait que je me suis décidée à retourner dans le grand nord, mais plutôt du côté Est cette fois-ci…

Vous nous aviez laissé un Groenland dans un état inquiétant, maintenant, il y a une pandémie mondiale qui s’abat sur nous, comment avez-vous travaillé pendant cette période ?

Pour être tout à fait honnête, cette création a été extrêmement bien préservée jusqu’à présent. Le contexte de la pandémie m’a permis de passer beaucoup plus de temps sur l’écriture, que ça soit sur ce projet que sur d’autres projets, puisque j’ai récupéré du temps que je ne pensais pas avoir. Cela m’a permis de donner un autre soin à la préparation de cette nouvelle création, à son d’écriture, même de l’achever complètement avant les répétitions, ce qui est très rare. Pour ce qui est des répétitions en elles-mêmes, nous les avions organisées sur un long temps, mais par périodes successives, parce que je me rends compte que c’est la façon la plus agréable et la plus efficiente pour moi de travailler. C’est à dire avoir un long temps de réflexion sur ce que je fais, passer au plateau, revenir à l’écriture. Il y a eu six étapes de répétitions successives, ce qui m’a permis aussi d’auditionner tous les enfants et d’adapter mon travail puisqu’il y a huit enfants sur ce projet et travailler avec des enfants demande un rythme différent qui tient compte de leurs congés, de leur rythme d’assimilation… etc…

Justement, comment s’est passé ce travail avec les enfants – huit ! – et dans ce contexte de pandémie ?

J’avais déjà travaillé avec enfants. Et j’aime beaucoup le faire. Je le fais même depuis longtemps puisque déjà en 2011, je travaillais avec deux jeunes filles qui avaient sept ou huit ans à l’époque. Cela conditionne le travail… huit enfants ce n’est pas la même chose que de travailler avec deux… Cela oriente la manière d’aborder le plateau et le code de jeu d’une manière générale. Quelqu’un qui n’a pas l’habitude d’être en plateau va l’utiliser de manière extrêmement concrète, ce qui modifie également le jeu des acteurs. Je chercher à créer des univers qui sont assez puissants, qui ont une dimension, une atmosphère particulière, à l’intérieur desquels je cherche toujours à ce que les acteurs soient le plus concrets possibles, pour essayer de reproduire le mieux possible une vie au-delà de ce qu’on raconte au plateau.

Outre ces enfants, qui sont récurrents dans votre travail, il y a surtout ces caméras, ce rapport à l’image qui est toujours fascinant et qui emporte le spectateur dans d’autres lieux, y en aura-t-il cette fois-ci aussi ?

On est exactement sur le même dispositif que dans les deux précédents spectacles de la trilogie, c’est à dire deux caméras qui filment en direct et l’oeil passe de manière relativement fluide, enfin j’essaie, le plus fluidement possible, entre le l’écran et le plateau, entre ce qui est raconté par la caméra et ce qui est raconté au plateau. Kingdom est l’histoire d’un film en train de se faire, donc, ici, les caméras je ne les cache pas comme dans les deux précédents spectacles, je les affirme et j’affirme leur point de vue.

Ce qui caractérise votre travail, outre ses enfants et ses caméras, c’est le décor. Quelle est la scénographie cette fois-ci ?

On est au milieu de la Taïga. On est sur le territoire de Philippe et de sa famille. Leur quotidien est fait d’une rivière, d’une forêt et d’habitations… Ce sont les trois points principaux autour desquels va se dérouler l’action et qui constituent la scénographie. Il y a aussi un ailleurs, qui est celui des voisins, qui est celui des ennemis, qui est celui de tous toutes les hostilités, qui ne sera jamais vu mais toujours signifié, toujours raconté, parce que je donne dans cette histoire une grande importance au récit, à ce qui est raconté et qui passe uniquement par le récit qui n’est pas vu.

Quel est le message que vous cherchez à délivrer avec ce spectacle, comment vous transcrivez dans votre pièce cette angoisse de l’autre ?

Le lien entre Kingdom – Braguino, le documentaire de Clément Cogitore – et nous, c’est que cela parle d’une situation à des milliers de kilomètres d’ici et pourtant cela parle aussi de nous. Ce sont, finalement, des schémas qui sont vieux comme le monde : cette impossibilité de construire la paix, de deux familles qui s’exilent de tout, d’un monde moderne, du capitalisme, de la violence, mais qui vont reproduire exactement les mêmes problématiques qu’ils ont fuies, au fin fond de la Sibérie orientale et qui vont détruire le monde qu’ils ont construit… Ces problématiques sont liées à la question du territoire, des ressources, du rapport nature, culture, de la violence… Toutes ces questions nous animent dans un environnement dont la nature, le vivant même est le personnage central. La question posée est : qu’est-ce qu’on fait de ce vivant, comment créer ce lien au vivant pour essayer de le sauver peut-être, d’une issue dangereuse. Pour moi, cette fiction nous parle de nous. C’est juste un tout petit peu plus loin, mais ça s’approche inévitablement.

Mais a-t-on besoin d’aller si loin pour parler dans le fond d’un conflit qu’on pourrait situer en Belgique, entre les Wallons et les Flamands ?

Oui, je n’y avais pas pensé dans ces termes, mais je dirais qu’à l’opposé d’autres conflits, le nôtre se vit à travers une confrontation politique et pas à travers une confrontation des peuples et des personnes… J’aimerais traiter de cette question-là, la constitution de la Belgique et de ce conflit, mais c’était important de projeter, comme je disais plus haut, beaucoup plus loin, de décoller de ce que je vis et de projeter dans un univers plus métaphorique. Il y a une puissance politique avec cette nature. On est reliés à cette question du vivant, mais elle est d’autant plus forte quand on est au coeur de la Sibérie, quand on est sur des territoires où dans un contexte où l’on dépend des ressources, de ce que je vais pouvoir chasser dans la forêt, de ce qui a déjà été chassé par les braconniers et qui ne me permet plus de vivre…

Quelle sera la place de la musique dans ce spectacle ?

Dans mes spectacles, je recherche toujours la place de la musique, dans celui-ci aussi. On est passés par énormément de possibilités. Au tout début de l’écriture, j’avais envie que les enfants produisent la musique du spectacle et, finalement, j’y ai renoncé parce que c’était extrêmement compliqué. J’ai imaginé ce spectacle pour pouvoir faire jouer les enfants comme comédiens, de manière très simple et pour avoir le résultat que je voulais obtenir pour la musique, il faut très vite tomber dans la virtuosité qui ne me semblait pas avoir sa place dans l’histoire, mais j’ai gardé cette idée que – la musique soit produite en grande partie sur le plateau, par les éléments de la nature et par les acteurs. C’est à dire travailler d’une part sur la culture du chant. Cette famille chante. Elle transmet des chants et chante dans diverses situations. A peu près pour chaque situation, il y a un chant pour l’accompagner… ça c’est une ligne qu’on a tracée, et puis une autre qui était l’utilisation des éléments de la nature, que ce soit la rivière, les arbres, les murs des maisons, les volets qui claquent, des éléments de la scénographie qui produisent des sons et qui construisent un environnement sonore…

Dans quel état d’esprit croyez-vous que le spectateur doit être pour aborder cette création nouvelle à Avignon ?

Je pense que la période qu’on a traversée, qu’on traverse encore – entre le moment où tout s’est figé, de la sidération, de l’arrivée de la pandémie, et le moment où l’on s’est dit : il faut recommencer – il y a eu un temps d’arrêt, de silence, de calme, de réadaptation qui a conditionné l’écriture de l’histoire du spectacle, c’est évident.

Rien n’arrive par hasard et j’ai pris ce temps-là. Je voulais prendre le temps de deux manières différentes. J’ai voulu faire un spectacle plus court, parce que je voulais pouvoir donner plus de soins à l’intérieur du spectacle. Sur Arctique, par exemple, j’étais engouffrée dans un spectacle qui était trop long, avec l’impression que je ne pouvais pas donner assez d’attention à chaque moment. Ici, j’avais la volonté de faire un spectacle plus court et de faire un spectacle avec beaucoup moins de paroles, où le silence, la contemplation et où les choses se rencontreraient autrement que par le langage et c’est arrivé dans ce moment où, moi-même, j’ai ressenti que la ville se taisait, que j’avais envie de me taire aussi, parce que j’avais absolument pas envie de réagir sur ce qui se passait, mais d’utiliser cette sidération, cette transformation du rythme, de l’environnement, de mon environnement et de le mettre au service de l’écriture du spectacle. J’ai d’ailleurs abordé les répétitions de la même façon, en prenant le temps de raconter, et c’est ça que je vais un peu imposer dans ce spectacle. Il se raconte avec un rythme qui est assez différent et j’espère que les spectateurs seront dans les dispositions de recevoir ça… et c’est bizarre, mais j’ai très peu de doutes là-dessus. Je pense qu’on a tous une attention différente à ce temps, aujourd’hui, malgré tout…

Y a t-il des perspectives de développement dans vos projets ? Lors de notre dernier entretien vous parliez de films…

Oui. Je n’ai pas abandonné, je suis en préparation de mon premier long-métrage. Cela sera le prochain projet important et qui sera une adaptation d’une pièce que j’ai écrite à Berlin.

Propos recueillis par Emmanuel Serafini

Image: Kingdom, photo Christophe Engels

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