« MISERICORDIA », MERVEILLEUSE CONTEUSE DE VIE QU’EMMA DANTE
75e FESTIVAL D’AVIGNON. « MISERICORDIA » – Emma Dante – Gymnase du Lycée Mistral à 15h – 16 – 19/ 21-23/07/21
Trois femmes fortes.
Pour son retour au Festival d’Avignon, après avoir mis tout le monde d’accord sur son immense talent de conteuse en 2017 avec « Bestie di scena », la metteuse en scène et conteuse de vie, Emma Dante, revient à Avignon avec deux pièces courtes d’une heure qui viennent confirmer que personne ne sait mieux qu’elle parler de l’âme des petites gens du sud de l’Italie et fabriquer des fresques familiales touchantes avec de vrais morceaux de tendresse à l’intérieur…
A une époque où aucun metteur en scène ne se risque sur une scène sans son vidéoprojecteur et sa caméra embarquée sur le plateau, Emma Dante arrive avec son arte povera, fait du jeu des comédiens – et en l’occurrence un acteur lunaire, Simone Zambelli, et d’immenses actrices : Italia Carroccio, Manuela Lo Sicco, Leonarda Saffi – Un lit pliant, une table, deux chiffons et tout un monde se crée, un pan de vie se fait jour d’une tendresse infinie au point que pendant « Miséricordia », l’une des pièces proposées pour ce 75ème Festival, le public pleure en écoutant l’histoire, rare empathie qu’on ne trouve peut-être qu’au cinéma, justement !
En fond de scène, trois femmes tricotent. Le cliquetis des aiguilles indique leur dextérité. La longueur de l’ouvrage, la récurrence du travail qui semble la seule occupation dans cette demeure où il n’y a sans doute pas la télé ni jeux vidéos, d’ailleurs, il n’y a rien. Comme il se doit, elles se chicanent. Elles se reprochent tout et rien, mais elles font bloc comme ce jour où l’une d’elles, Bettina, tombe enceinte d’un mari violent qui refuse sa paternité. Elle donne naissance prématurément, à sept mois, à Arturo qui, sous les coups de son père ou alors par le destin d’une vie, naitra handicapé mental. Elles feront tout, ces trois femmes, pour élever cet enfant, jusqu’à ce que cela ne soit plus possible, qu’il faille le placer et donc s’en séparer… Cette séparation est le moment de scènes bouleversantes, faites de réminiscences. Le passé de la mère. Les coups portés par le père, tout cela ajoute au drame qui se joue devant nous. La force de cette mise en scène est de ne pas en rajouter, de ne pas sur-jouer le drame qui est déjà très explicite, donnant toute l’ampleur à cette fresque, malheureusement commune encore de nos jours.
Avec « Misericordia », Emma Dante pose les choses. Elle témoigne plus qu’elle ne soigne. Elle ne propose pas de remède à cette situation. Elle n’offre pas de résolution à ce drame. Elle conte simplement mais justement. Elle n’est pas polémique mais descriptive et laisse chacun à sa réflexion. Elle sait produire les sentiments justes. Elle implore notre miséricorde et, sans conteste, elle l’a…
Emmanuel Serafini
Photo Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon