« HAMLET A L’IMPERATIF », BEAUCOUP DE BRUIT POUR BEAUCOUP DE THEÂTRE
75e FESTIVAL D’AVIGNON. « Hamlet à l’impératif » – Le feuilleton du Festival – Texte et mise en scène : Olivier Py – Jardin Ceccano, 12h ou 18h, du 6 au 23 juillet – Entrée libre.
« Who’s there ? Qui est là ? » Moi moi moi, je suis là, tous les jours, au premier rang, tréteaux sur les pieds, soleil dans le dos, accrochée à ces lèvres qui donnent à boire tous les jours des paroles au cœur desquelles on voudrait bien tous les jours tous les jours tous les jours nager, nager, et se noyer. Et c’est possible, car tous les jours, du 6 au 22 juillet, à midi souvent, à dix-huit heures parfois, dans le jardin de la bibliothèque Ceccano, entre deux vigiles très réceptifs aux guillis, se joue « Hamlet à l’impératif », un feuilleton de dix épisodes, composé par Olivier Py à partir de la pièce de Shakespeare, ainsi qu’une version raccourcie (pourquoi ?) de celle-ci, mais arrachez vos habits les voilà qui arrivent !
Hamlet, Gertrude, Polonius et le spectre, Lacan, Schmitt, Nietzsche et Derrida, Moustafa, Damien, Céline et Bertrand, Zélie, Roméo, Gaspard et Laurie : personnages complexes et torturés, penseurs immenses enfin vulgarisés, comédiens excellents aux beautés albâtres, sortis de chapeaux, de prisons, d’ehpad ou d’écoles de théâtre… Cette grande exégèse shakespearienne est ainsi pour moi l’occasion de composer une mosaïque véritablement horizontale et utopique qui réunit non seulement amateurs et professionnels, mais invite les spectateurs à apercevoir eux aussi l’envers des rideaux jusqu’à rencontrer intimement les artistes ; alors tous les jours les langues se démêlent, se délient, se démènent même lorsque le temps est hors de ses gonds après celui de la représentation.
« Si j’avais eu le temps, j’aurais fait plus court » écrit Paul Valéry, mais du temps, Olivier Py en manque alors noyer le poisson dans le poison des épées, les épaules d’Horatio, le raffut du crâne, mais non, Hamlet est si vaste qu’il ne se noie pas, ça déborde par toutes les portes de son visage alors non pas plus court mais courir plus vite, expliquer la paix, l’éthique, la vengeance, la douleur, comprendre l’indicible, le grincement, la surprise, incarner l’immobilité, le doute, la peur, tout ça avec un décor bibliothèque sobre vêtu de peu d’accessoires -un tableau noir et sa craie et ça crée- et coulisses nues où se cache l’échelle. Mais la dialectique est vraiment super, solide et dynamique, les corps comme la dialectique, bonne ambiance de groupe, batterie à fond la caisse, peu de femmes et ciel étoilé en plein milieu du jour. Petit bémol : ils ne connaissent pas leur texte, alors que moi si.
Avec tout ce pataquès, Hamlet n’est pas mort, c’est sûr, il n’arrête pas de naître ! Bonheur. Je me sens de la famille, de la très grande famille. Mais Hamlet est à Jardin, on le voudrait à Cour, oui dans la Cour d’honneur à la place de l’Amandier ! Je sais que « Hamlet à l’impératif » est assez violemment critiqué, je n’ai pas peur de vous défendre et de vous dire ne jetez rien surtout, ou donnez moi les restes, ou jetez le en l’air, cet Hamlet qui contient dans son visage, joli visage mis en pièces encore plus jolies, tout le beau monde qui veut comprendre le monde ! Juste une question et après je tourne vos pages et vous ma tête : comment se fabrique un miracle ?
Célia Jaillet
Photos Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon, DR