« JEANNE_DARK », UNE DOUBLE EXPERIENCE INEDITE ET PASSIONNANTE

jeannedark1cmatthieubareyre

« jeanne_dark_ » Marion Siéfert – Au théâtre de Vidy, Lausanne du 26 au 30 octobre 2021 et en tournée

Vous ne connaissez pas encore Jeanne? Elle est française, elle a seize ans, elle vit à Orléans avec sa famille bourgeoise (catholique) et elle ressemble à beaucoup d’adolescentes près de chez vous, si ce n’est à vous-même lors de cette période de fragilité et de révolte que nous avons tou.te.s vécue.

Le pseudonyme qu’elle s’est choisi (Jeanne Dark) ne lui apporte que des ennuis : ses camarades la harcèle en la traitant de pucelle. Ce qu’elle est en fait, c’est à dire une adolescente très sage, vierge et sans travers prohibé. C’est ce statut raisonnable qu’elle a de la peine à encaisser. Elle ne se sent tout simplement pas vivante, s’estime invisible et inexistante. Et donc, elle se confesse en live sur Insta.

La comédienne Helena de Laurens joue à la perfection le rôle de Jeanne. Véritablement habitée par son personnage, elle filme simultanément sa performance théâtrale sur smartphone diffusée en direct sur Instagram. Ses images sont cadrées, précises. Chaque plan est pensé, accompagnant une attitude spécifique.

La scénographie (Nadia Lauro) figure un cube de papier blanc vu en perspective, encadré de deux grands panneaux rectangulaires diffusant les images du live Instagram en train de se tourner avec les commentaires des followers. La forme du spectacle est totalement novatrice. Le public assiste à une pièce où le personnage de Jeanne s’adresse continuellement à son téléphone. Elle occupe pourtant entièrement la scène, jouant de postures et de mouvements typiquement juvéniles tout en se filmant.

Durant l’heure et demie de la représentation/tournage, les publics (celui du théâtre et celui d’Instagram) découvrent les aspirations et doléances de Jeanne qu’elle livre avec rage, ainsi que des échanges avec son père, sa mère, sa soeur, un prêtre, quelques camarades, dont elle mime certains dialogues truculents. Les têtes en gros plan de ces spécimens, reproduits par Jeanne /Helena, sont aussi drôles que dramatiquement éloquents. Au fil du texte, caustique et hyper actuel, une multitude de thèmes défilent durant ce drame de la vie ordinaire d’une jeune fille « rangée »: jalousie, envie, rancoeur, solitude, étouffement, colère, anxiété, etc. C’est pourtant vis-à-vis d’elle-même qu’elle est la plus cruelle, n’hésitant pas à grimacer et se filmer sous toutes les coutures, passant en revue ce corps et ce visage qui lui déplaisent.

«(…) ils s’amusent à faire des trucs… genre ils vont me prendre en photo, sans que je m’en
rende compte, et après poster la photo de moi trop moche sur Insta et commenter :
« #jeannelapucelle » Ils disent que je pue la vierge. Que ma chatte c’est un cimetière. Qu’il
faut que je me fasse défoncer le cul une bonne fois pour toutes pour que je me détende. Qu’ils
vont me faire couiner. Que des trucs comme ça. Tout le temps tout le temps tout le temps. Au
début j’étais en mode : c’est pas grave – je me tais – je n’entends pas ces gens. Ils ne rentrent
pas dans mon cerveau. C’est pas grave. Je ne dis rien. Ils sont débiles. Ça va passer. A un moment
ils vont arrêter de faire ça. Ils vont forcément en avoir marre à un moment. Ça va passer. Ça
va passer. Mais en fait non ça s’arrête pas ! Ils s’arrêtent pas. Ils s’arrêtent pas. Ça continue.
Et en fait, j’en ai trop marre ! J’y pense tout le temps. Et je me sens trop mal. Je me sens trop
mal. En plus ça m’obsède. J’ai plus envie d’aller au lycée. J’arrive plus à parler avec personne

C’est une image au plus près de la génération Z transcrite avec ses propres moyens d’expression et de communication: les réseaux sociaux. L’armure de la Jeanne médiévale protégeait son corps. L’actuelle, bien qu’armée de son portable, ferait bien de conserver le gantelet. Marion Siéfert et Helena de Laurens créent ici une toute nouvelle double expérience, aussi passionnante pour le public du théâtre que pour celui d’Instagram. Double, parce que totalement différentes et aussi réussies l’une de l’autre.

Abonnez-vous à la page _jeanne_dark_ sur Instagram et suivez le spectacle en direct.

Martine Fehlbaum,
à Lausanne

Laisser un commentaire

  • Mots-clefs

    Art Art Bruxelles Art New York Art Paris Art Venise Biennale de Venise Centre Pompidou Danse Festival d'Automne Festival d'Avignon Festivals La Biennale Musiques Palais de Tokyo Performance Photographie Théâtre Tribune
  • Archives