RÉTROSPECTIVE JONAS MEKAS À LA CINÉMATHÈQUE FRANÇAISE
CENTENAIRE JONAS MEKAS – la cinémathèque française, Paris – Du 13 au 30 avril 2022.
L’un des plus grands poètes littéraires et visuels de l’histoire contemporaine, Jonas Mekas, aura créé en deux langues, sur deux continents, à travers deux siècles et au moyen de trois technologies audiovisuelles. L’ensemble s’articule autour d’un outil du XIXe siècle, la machine à écrire, dont la typographie persiste jusque dans les derniers films, instrument crucial du destin, puisque la disparition de celle qui, depuis 1942, servait au jeune poète pour taper des bulletins de résistance, détermine sa fuite loin de son paradis, son village, Semeniškiai.
JONAS MEKAS : AFFIRMER LA FÉLICITÉ, LE PARADIS RETROUVÉ
Avec son frère Adolfas, Jonas Mekas a traversé beaucoup des événements et conditions les plus tragiques du XXe siècle : la Seconde Guerre mondiale ; l’occupation et l’annexion de leur Lituanie natale ; l’emprisonnement par les nazis dans un camp de travaux forcés ; puis les camps de personnes déplacées, l’exil, la misère, l’exploitation en usine… Au lieu de sombrer dans le désespoir, le cynisme ou le repli sur soi, toute sa vie Mekas a consacré son énergie à réinjecter beauté, bonté, solidarité et joie dans le monde.
« POURQUOI SE DONNER LA PEINE DE FAIRE UN FILM ? »
En tant que poète et chroniqueur culturel, Jonas Mekas, qui a commencé par fonder des journaux à l’école et jusque dans les camps, n’a cessé d’inventer des formes d’écriture critique et idées de cinéma. Parmi d’innombrables exemples souvent drôles, citons le « Principe de Cléopâtre » : « Supposons que je sois le producteur de Cléopâtre. Supposons que j’ai 40 millions de dollars. J’achèterais un gros morceau d’or avec cet argent. J’installerais ce rocher d’or au Radio City Hall, et l’exhiberais pour cinq dollars. Ce serait le moyen le plus pur de gagner de l’argent avec de l’argent. Pourquoi se donner la peine de faire un film ? » (The Village Voice, 20 juin 1963)
À l’inverse, avec chaque ligne, chaque photogramme, chaque film, chaque institution qu’il a créés, Jonas Mekas provoque une cristallisation chargée de préserver les vibrations infinies de l’existence, d’irradier « la beauté d’être ensemble » (As I Was Moving Ahead…, 2000), d’attester l’évidence de la grâce sur terre. Chez lui, cette grâce relève de la nature, de l’asocial et de l’ivresse – euphorique ou dysphorique. « Notes pour moi-même : faire des choses qui n’ont aucun sens. S’engager dans des activités inutiles. Miner ma respectabilité. Être absurde. Perdre l’esprit. » (1959) L’ensemble édifie une polytopie – une série d’utopies réalisées, sous formes éphémères de moments et visions, sous formes solidifiées de cooptations, coopération et solidarités.
« L’ART QUE NOUS FAISONS L’UN POUR L’AUTRE »
Un principe de thésaurisation structure l’œuvre : muer la pellicule en archives qui doivent reposer et patiner avant de pouvoir être montées ; muer la coprésence des êtres en archéologie d’une nation (Birth of a Nation, 1997) ; muer le monde en ce trésor de félicités qu’il pourrait être. Le défi peut sembler lourd mais l’écriture reste légère. Ad augusta per angusta. Jonas Mekas revendique une esthétique de la simplicité, du modeste, un franciscanisme artistique pour lequel l’invisible ne se trouve pas dans l’au-delà mais dans le socialement infime. « Je veux célébrer les petites formes du cinéma : la forme lyrique, le poème, l’aquarelle, l’étude, le croquis, le portrait, l’arabesque et la bagatelle, et les petites chansons en 8 mm. À une époque où tout le monde veut réussir et vendre, je veux célébrer ceux qui consentent à l’échec social quotidien afin de poursuivre l’invisible, ces éléments personnels qui ne rapportent ni argent ni pain et ne revendiquent pas de faire l’histoire contemporaine, l’histoire de l’art ou tout autre histoire. Je suis pour l’art que nous faisons l’un pour l’autre, en amis. » (« Anti-100 Years of Cinema Manifesto », 1996)
Les films, principalement des journaux, transforment les phénomènes en fétiches : paysages, climats, créatures vivantes de tous règnes et circonstances y apparaissent comme autant d’événements à célébrer, débordant la subjectivité de celui qui les appréhende. L’œuvre de Mekas appartient à une histoire des formes qui conduit de Claude Monet au free jazz et de Dada à Fluxus : l’art comme exploration créative de nos relations possibles avec le présent. Elle se caractérise par l’expansion des formes du dialogue, de l’échange et de la circulation. Les films et écrits de Jonas Mekas fourmillent d’adresses et de déclarations (d’amour, toujours) ; certains livres colligent messages et cartes postales (par exemple Artists’ Book, 2003, recueil de lettres reçues au fil des années de personnalités aussi diverses que Fernand Léger, Carl Andre, Joan Crawford ou Michelangelo Antonioni). Les journaux filmiques inventent une autobiographie fondamentalement altruiste, plus album ou herbier que miroir. Monter un film ne consiste pas tant à établir un récit de vie qu’à aligner les rencontres, et ce qui se rencontre comprend des humains, des animaux, des végétaux, des vivants et des morts auxquels Jonas parle et sacrifie tout autant de libations.
« RESPECT TOTAL ET ABSOLU »
D’où proviennent tant de cohérence, de fidélité à soi-même et aux autres, d’énergie inentamée au cours de huit décennies d’inlassables activités ? Sans doute de la perspective parfaitement claire dans laquelle s’inscrivent les initiatives mekasiennes. « Pendant six ans, j’ai vécu la vie d’un esclave. Peu à peu, j’ai perdu le sens de ce que j’étais vraiment, de ce qu’un être humain est vraiment ou pourrait être. Tout le monde avait le droit d’être libre, indépendant, mais les Lituaniens étaient privés de ce droit. Non, mes amis. Ni l’équilibre des pouvoirs, ni l’économie – ni la vie elle-même – n’ont de sens si même une seule nation, une seule personne, reste en esclavage. Lorsqu’existera un respect total et absolu de l’individu et des libertés nationales dans chaque pays – dans chaque culture –, alors seulement le monde pourra se dire civilisé. » (« No, My Friends, We Won’t Go Slow », New York Times, 1990)
Nicole Brenez
LES FILMS
A Letter from Greenpoint Jonas Mekas / États-Unis / 2004 Ve 22 avr 20h45
As I Was Moving Ahead Occasionally I Saw Brief Glimpses of Beauty Jonas Mekas / États-Unis / 2000 Sa 23 avr 14h30
Brig (The) Jonas Mekas / États-Unis / 1964 Di 17 avr 20h45
Correspondencia Jonas Mekas – José Luis Guerin Jonas Mekas / Espagne / 2011 Je 28 avr 19h30
Guns of the Trees Jonas Mekas / États-Unis / 1961 Je 14 avr 18h00
Hallelujah les collines Adolfas Mekas / États-Unis / 1962 Je 14 avr 20h00
He Stands in a Desert Counting the Seconds of His Life Jonas Mekas / États-Unis / 1969 Sa 16 avr 19h45
In Between Jonas Mekas / États-Unis / 1964 Di 24 avr 17h15
Lost, Lost, Lost Jonas Mekas / États-Unis / 1976 Di 17 avr 17h15
My Paris Movie Jonas Mekas / France / 2011 Me 27 avr 19h00
Notes for Jerome Jonas Mekas / États-Unis / 1966 Di 24 avr 17h15
Notes on an American Film Director at Work Jonas Mekas / États-Unis / 2008 Di 24 avr 19h45
Out-Takes from the Life of a Happy Man Jonas Mekas / États-Unis / 2012 Me 20 avr 19h30
Paradise Not Yet Lost Jonas Mekas / États-Unis / 1977 Me 13 avr 20h00
Reminiscences of a Journey to Lithuania Jonas Mekas / États-Unis / 1972 Sa 16 avr 15h00
Sleepless Nights Stories Jonas Mekas / États-Unis / 2010 Sa 30 avr 20h30
Walden: Diaries, Notes and Sketches Jonas Mekas / États-Unis / 1964 Ve 15 avr 19h00
COURTS MÉTRAGES
A Daydream Jonas Mekas / États-Unis / 2010 CM Sa 23 avr 20h00
Cassis Jonas Mekas / États-Unis / 1966 CM Sa 23 avr 20h00
Cinema Is Not 100 Years Old Jonas Mekas / États-Unis / 1996 Sa 23 avr 20h00
Film Magazine of the Arts Jonas Mekas / États-Unis / 1963 CM Sa 23 avr 20h00
Happy Birthday to John Jonas Mekas / États-Unis / 1995 CM Ve 29 avr 19h00
Hare Krishna Jonas Mekas / États-Unis / 1966 CM Sa 23 avr 20h00
Imperfect Three-Image Films Jonas Mekas / États-Unis / 1995 CM Sa 23 avr 20h00
Quartet Number 1 Jonas Mekas / États-Unis / 1991 CM Sa 23 avr 20h00
Report from Millbrook Jonas Mekas / États-Unis / 1965 CM Sa 23 avr 20h00
Scenes from the Life of Andy Warhol Jonas Mekas / États-Unis / 1965 CM Ve 29 avr 19h00
Song of Avignon Jonas Mekas / États-Unis / 1998 CM Sa 23 avr 20h00
This Side of Paradise (Fragments of an Unfinished Biography) Jonas Mekas / États-Unis / 1999 CM Ve 29 avr 19h00
Time and Fortune Vietnam Newsreel Jonas Mekas / États-Unis / 1968 CM Sa 23 avr 20h00
Williamsburg, Brooklyn Jonas Mekas / États-Unis / 2003 Sa 23 avr 20h00
Zefiro Torna or Scenes from the Life of George Maciunas Jonas Mekas / États-Unis / 1992 CM Ve 29 avr 19h00
Image: Jonas Mekas, Walden: Diaries, Notes and Sketches