RUI MOREIRA, « THE PASSENGERS », L’IMMERSION INTENSE
The Passengers – Rui Moreira – Galerie Jeanne Bucher-Jaeger, 5 rue de Saintonge, 75003 Paris – Jusqu’au 28 mai 2022
Passagers et paysages de Rui Moreira
Les œuvres de Rui Moreira nécessitent un temps long d’attention, nous sommes alors très vite absorbés par l’infinité de motifs et par la puissance des aplats colorés. La couleur déposée au stylo gel, à l’encre sur papier, à la gouache nous attire et les formes organiques expriment les flux, les déplacements, la vie éphémère.
De loin, les dessins de la série The Passengers suggèrent un paysage de formes élancées, un élan vital. En s’approchant, une multiplicité de petits corps, semblables à des nouveaux nés, à des sarcophages égyptiens semblent rejoindre un courant vers un lointain. Songeons aux individus, victimes de la pandémie ou d’autres bouleversements, l’artiste portugais rend visibles ces êtres qui disparaissent tout en laissant des traces mémorielles. Bien que le monde semble s’effondrer, il y a dans ses dessins, l’expression d’un flux… Des tiges, la croissance de végétaux, semblent apparaître. Ces visions rappellent des paysages étranges, que l’artiste aurait perçu lors de ses nombreux déplacements dans le désert.
En dessinant la série Cathedrals of Wind, il se remémore ses traversées du désert du sud marocain, durant lequel il se sentait vivant, à lutter contre des conditions extrêmes. Mouvement des dunes, sensations des forces de la nature, ses œuvres sur papier expriment un tumulte, un phénomène naturel qui marque notre corps. Notre regard circule dans ses dessins, où un tourbillon de formes bleues et blanches incarne les changements d’ombre et de lumière. Divers paysages se découvrent, des montagnes, des fonds marins ; on devine des vagues, des remous, un temps géologique et un futur possiblement inquiétant. La nature se déchaîne tout en nous fascinant par les formes à la fois pointues et organiques qu’elle présente.
Une abstraction plus rigoureuse et géométrique émerge dans sa série Roda-Viva, Roue de vie. Ses travaux sur papier symbolisent les mouvements, l’opposition entre vie et mort, ordre et chaos, une symétrie et un cycle vital. L’œuvre de Rui Moreira nécessite d’être décryptée pour y percevoir les différentes références qui y sont à la source. Des instants semblent décisifs, tout ne tient qu’à un fil et chaque moment est à savourer pleinement, telles sont les pensées qui émergent en saisissant ce que ses dessins représentent.
L’expérience de la vie, si précieuse s’incarne dans les œuvres de l’artiste. Celles-ci nous émeuvent tant elles expriment la fugacité de l’existence.
Rui Moreira a gardé en mémoire ses explorations de divers paysages. À l’atelier, en se mettant dans un état d’extrême concentration, sa technique de remplissage au stylo gel l’amène à restaurer un certain état dans lequel il se trouvait lors de ses longues marches. Ses pensées, ses méditations, semblent s’inscrire dans ses dessins.
Seascape, qui a retenu mon attention, nous invite à plonger dans un paysage marin immense face auquel l’homme est incité à méditer. Telle une écriture, des formes de minuscules vagues noires, semblent guider notre regard vers l’infini.
Éclatement, surgissement des profondeurs de la terre, déchaînement, enchevêtrement de textures, de matières issues d’un paysage qui nous dépasse, se découvrent également dans ses dessins grand format, tel que Machine of entangling landscapes VIII.
Il y a dans les dessins de Rui Moreira, l’expression d’émotions vécues tout au long de son immersion intense face à son support. Une ode à la vie, aux souvenirs d’expériences dans des milieux où le corps est mis à l’épreuve.
Pauline Lisowski
Image: Rui Moreira, Machine of entangling landscapes VIII, 2019, Gouache et aquarelle sur papier, 152,5 x 237 cm © Cintra Castro Caldas, Courtesy Jeanne Bucher Jaeger, Paris, Lisbonne