FESTIVAL D’AVIGNON. « ANIMA », QUAND L’INANIME BOUGE
76e FESTIVAL D’AVIGNON. « ANIMA », Performance de Noemie Goudal et Maelle Poesy – Collection Lambert – Du 8 au 16 juillet (relâche le 11) à 22h.
Disposées en arc de cercle devant un public tout à fait disposé à les regarder, trois grandes toiles forment un tryptique sur lesquelles sont projetées des images : palmiers palpitant avec lenteur, remuant comme une poitrine gonflée, se montrant discrètement sous le jour d’oiseaux, de cœurs ou de mygales. Ces feuillages donnent l’impression de vouloir s’extraire délicatement de leur surface. Soudain mais sans rien faire sursauter (rien ne nous fera sursauter au cours de ce spectacle caractérisé en premier lieu par la fluidité) le paysage dévoile ses coutures, affiche -d’un geste de bandelette- les différentes couches de papiers ayant servi aux techniciens pour le constituer. Notre perception du réel est mise à mal : l’image tente de sortir du cadre, la 3D ne fonctionne plus pour comprendre le monde, le résultat est semblable à lui-même, qu’il soit le fruit d’un long entrelacement de lignes ou de l’éréction d’une image figeant sur un plan unique cet emmêlement de strates. L’espace est recomposé : des cimes peuvent se retrouver en bas, des troncs en l’air, la verticalité incarne une définition de l’horizon et l’horizon n’en finit pas de masquer une autre mue. Sur la fin de la performance, la pesanteur se trouve même annulée. La perception de l’homme est limitée par l’espace et par le temps, c’est ce que nous rappelle d’abord ce dispositif : nous sommes bien minuscules en comparaison du reste.
Sur les vidéos filmées en plan séquence (comme pour instaurer un nouveau rapport à la temporalité), l’ordre végétal imprimé sur le papier est amené à brûler, lentement, couche après couche, branches après feuilles. C’est ensuite au tour de l’eau d’entrer en scène pour couler sur des palmiers transformés (sans qu’on ne l’ait perçu, on y voit que du feu) en d’imposantes roches. Noémie Goudal explique : « Ces décors filmés, qui se construisent et se déconstruisent, sont une manière d’aborder cette métamorphose cyclique et lente, et de redonner un mouvement aux territoires qui nous paraissent fixes. » Ces remplacements renouvelés d’une image par une autre, d’un mouvement par une continuité incarnent le visage de l’entropie, par ces cycles sensibles alternant entre destructuration et recomposition.
Ces transformations s’étirent à l’infini, affirmant l’aspect transitoire et perpétuellement changeant du monde dans toute sa douceur. La lenteur extrême de ces mouvements trouve un corps à travers celui de l’acrobate Chloé Moglia, qui « interroge, par sa posture en suspension » selon les mots de Maelle Poesy « une sensation de force et de fragilité mêlées » Tenant d’une main au dessus du vide, cette figure humaine paraît vivre au sein d’une dimension futuriste, au-delà du possible. La technologique accélère le mouvement des corps et des relations tandis que le numérique, omniprésent dans cette performance, ralentit l’avancée jusqu’au risque de l’immobilité. La jeune femme lévite et se meut au rythme d’une nature racontée par ses détails dans leur dimension fractale. Sa mise en danger crée une atmosphère particulière au sein du public qui lui prête une attention aiguë, respirant d’un même souffle suspendu. Si la perception est limitée, l’attention ne connaît aucune autre bordure que nos paupières (et si elles se ferment ce n’est pas par ennui mais par envie d’être bercé par le souffle du vent ou le battement électronique de la musique, dont l’alliage harmonieux permet l’expérience sensorielle puissante de ce spectacle)
Un instant en équilibre entre le tellurique et le numérique, deux univers labiles, capables de s’étirer aux confins du visible : rien ne sert de courir, il vaut mieux rester.
Célia Jaillet
Image copyright les artistes