FESTIVAL D’AVIGNON. « LE NID DE CENDRES », UNE EPOPEE FANTASTIQUE DANS LAQUELLE IL FAUT S’IMMERGER
76e FESTIVAL D’AVIGNON. « Le Nid de Cendres » – Texte et mise en scène : Simon Falguières – La FabricA les 9, 10, 12, 13, 15 et 16 juillet à 11h (durée : 13 heures).
C’est Simon Falguières qui se lance cette année dans l’aventure, l’un de ces spectacles fleuve que seul se permet le Festival d’Avignon. L’un de ces spectacles qui intriguent, qui attisent la curiosité et la crainte des spectateurs tentés eux-mêmes de se lancer dans l’aventure. L’un de ces spectacles qui ont marqué l’histoire du Festival et dont la seule évocation fait ressurgir une émotion intacte chez les spectateurs fidèles. On se souviendra longtemps du Soulier de Satin, de la trilogie de Wajdi Mouawad ou encore du Henry VI de Thomas Jolly.
C’est un travail élaboré et peaufiné durant sept années, porté par une troupe de dix-sept comédiens qui interprètent une soixantaine de personnages, que nous présente Simon Falguières. Un spectacle fleuve qui nous entraîne dans les limbes d’une mer incertaine. Une mer qui sépare deux mondes : un monde occidental qui nous est familier, victime d’un attentat planétaire qui en fait un amas de cendres, et un monde de rêves, un monde de contes et d’histoires situé quelque part au-delà des mers dans l’imagination des poètes. Deux mondes qui vont tenter de se retrouver pour survivre l’un par l’autre.
L’histoire se déroule sur trente ans, depuis la naissance du petit Gabriel dans l’hôpital d’un monde finissant voué à la destruction et celle d’Anne, fille de roi, princesse du monde des contes jusqu’à leur rencontre qui réveillera une reine endormie et recréera un nouveau monde.
Puis l’histoire prend son envol. Nous suivons la fuite éperdue de Jean et Julie d’un monde réduit en cendres, contraints d’abandonner leur petit Gabriel devant un théâtre ambulant, le « Théâtre des campagnes », qui le recueillera avec amour et dont nous suivrons les pérégrinations de la troupe tout au long du spectacle.
Tous ces personnages – une soixantaine – se rencontrent, se séparent, se retrouvent dans une succession de scènes souvent surprenantes, parfois comme des pièces rapportées mais toujours cohérentes avec le fil de l’histoire. La force du texte et le talent des acteurs conjugués à la durée du spectacle nous rendent ces personnages très proches, presque intimes, et déclenchent en nous une profonde empathie. Si la plupart des personnages nous ressemblent nous en découvrons d’autres plus improbables et surprenants comme cet ancien président en fuite transformé en une truculente diseuse de bonne aventure, un mystérieux comptable et un certain Monsieur Badile, incarnation récurrente du diable qui semble vouloir racheter des âmes. La princesse Anne dans sa quête au travers des océans rencontre même Shakespeare, Homère et Sophocle, personnages avinés et terrorisés à l’idée d’être oubliés.
On oscille constamment entre le monde réel et le monde du rêve qui vont inéluctablement se rencontrer. La forme est visiblement d’inspiration shakespearienne, on y trouve un humour, prédominant tout au long de la pièce, raffiné ou franchement truculent, qui alterne avec des scènes dramatiques, des scènes touchantes chargées d’émotion ou des moments de pure poésie et d’onirisme.
La scénographie comporte entre autres des éléments mobiles qui permettent des changements de décors rapides et efficaces. C’est un spectacle complet, sans temps morts, qui ménage ses effets de surprise et qui sait entretenir un certain suspense, condition nécessaire pour éviter une érosion du public au cours de ces treize heures de spectacle.
Le spectacle est porté de bout en bout par ces dix-sept comédiens, jeunes, enthousiastes et pleins de talents qui interprètent chacun plusieurs personnages. L’adéquation entre les acteurs et leurs personnages est totale et le texte, écrit dans un langage parlé, se déverse avec naturel et spontanéité. Le texte est soutenu par une interprétation musicale et des chants qui apportent une touche de poésie et d’émotion supplémentaire. On peut parfois regretter quelques longueurs mais la magie du théâtre et l’attention des spectateurs sont toujours entretenues.
C’est donc à minuit – le spectacle ayant commencé à 11 heures – que le public, debout, enthousiaste, fidèle de bout en bout, fait un triomphe à cette épopée, sans doute avec le regret de devoir sortir de ce monde fantastique dans lequel on se sent totalement immergé.
Jean-Louis Blanc
P.S. : Les gradins de la Fabrica ne sont pas pleins, loin de là. Pour ceux qui seraient rebutés par la longueur du spectacle, il faut préciser que les nombreux entractes et les moments de restauration rendent tout à fait supportable cette journée de théâtre total. Donc, n’hésitez pas !
Photo C. Raynaud de Lage / Festival d’Avignon