« RESURRECTION » : AU FESTIVAL D’AIX, CASTELLUCCI DEMONTRE UNE FOIS ENCORE LA PUISSANCE DE SA VISION

Castellucci Aix 22

FESTIVAL D’AIX EN PROVENCE. Symphonie n° 2 « Résurrection » en ut mineur de Gustav Mahler – Symphonie pour soprano, alto, chœur mixte et orchestre en cinq mouvements créée le 13 décembre 1895 à Berlin – Direction musicale : Esa-pekka Salonen – Mise en scène, décors, costumes et lumières : Romeo Castellucci – Festival d’Aix-en-Provence 2022 – Spectacle donné les 4, 7, 10, 11 et 13 juillet à 21h00 au Stadium de Vitrolles.

Romeo Castellucci poursuit son étrange dialogue avec la mort. Après sa mise en scène – on devrait dire mise en images – du Requiem de Mozart lors de l’édition 2019 du Festival d’Aix-en-Provence, il nous propose d’illustrer cette œuvre monumentale de Mahler qui aborde la mort avec gravité mais qui se termine dans la lumière, dans une flamboyante explosion d’espérance : la Résurrection !

Si dans le Requiem Castellucci évoquait la disparition des choses aimées mais célébrait aussi la vie au travers d’images souvent esthétisantes et poétiques, il aborde ici la mort frontalement dans ce qu’elle a de plus abject et repoussant.

Dans cette recherche de rapport, d’osmose, entre les images et la musique, il y a d’abord le lieu : ce Stadium monumental, immense cube noir conçu par Rudy Ricciotti en 1994 sur la commune de Vitrolles pour accueillir des évènements culturels et sportifs. Rapidement abandonné, sans doute pour de sombres raisons politiques, il a été livré aux caprices de la nature et est devenu un lieu d’expression privilégié pour les tagueurs. Le site est saisissant, cet immense bloc de béton et d’acier semble être apparu de nulle part sur un terrain aride, minéral, entouré de coulées de boues rouges d’anciennes mines de bauxite. Si l’abord extérieur est surprenant et plutôt rebutant, l’intérieur, gigantesque, malgré ses dégradations, révèle une formidable salle de spectacle. Le public, perché sur des gradins surélevés, domine une immense fosse d’orchestre qui s’étire sur toute la largeur du cube, elle-même surmontée d’un plateau démesuré qui ne pouvait qu’inspirer cet iconoclaste et infatigable créateur qu’est Romeo Castellucci. Le potentiel est immense et on sait gré au Festival d’Aix-en- Provence de contribuer à la résurrection de ce lieu, prémices de l’inspiration du metteur en scène.

Dès le premier mouvement de la symphonie, une prise de conscience grave et solennelle de la mort, un puissant cheval blanc apparaît sur le plateau recouvert de terre fraîche. Après quelques errances, ce cheval est récupéré par sa cavalière qui aperçoit, émergeant de la terre, un indice de présence de corps humain. Les autorités et les secours arrivent sur le plateau et exhument un cadavre, horrible, décharné, puis un deuxième, puis apparaît au fur et à mesure un immense charnier d’où sont extraits plus d’une centaine de corps en décomposition dont des enfants, des bébés. Cadavres retirés de la terre progressivement, avec attention, et disposés soigneusement sur des housses mortuaires tout au long du spectacle. Puis les housses se referment et sont évacués dans des véhicules du CNDH – Conseil National des Droits de l’Homme. Toutes ces fouilles se déroulent dans le calme, méthodiquement, suivant une organisation bien établie et avec une rigueur scientifique par des professionnels aguerris. Seule une employée à ces exhumations, éperdue, continue avec acharnement à fouiller le sol de ses mains après l’enlèvement des corps, dans un dernier espoir.

L’effet est saisissant et d’un réalisme absolu. Si la musique de Mahler est fondée sur une résurrection spirituelle des âmes, ici la résurrection est purement corporelle, matérialiste. Pour Castellucci, cette exhumation « c’est le moyen qu’ont ces corps de retourner au monde, leur résurrection ». Ces corps, identifiés scientifiquement, seront remis aux familles pour élaborer leur deuil, pour les faire revivre au travers des souvenirs.

En parallèle de ce terrible et impressionnant tableau, l’interprétation musicale de l’Orchestre de Paris et des chœurs et solistes associés dirigés par Esa-Pekka Salonen, étirés dans cette immense fosse d’orchestre, est remarquable. Contre toute attente l’acoustique du lieu est excellente et rend de manière admirable la puissance des chœurs, la pureté éthérée des voix des deux solistes – Golda Schultz et Marianne Crebassa – ainsi que la flamboyance des cuivres et l’explosion des percussions.

La puissance expressive, la beauté et la spiritualité de cette partition de Mahler, contribuent à apaiser les images que nous offre Castellucci. Notre attention oscille en permanence entre la musique et les images. Si l’on se laisse emporter par la musique, les images de ce charnier humain nous apparaissent presque comme une fresque illustrative et si l’on se met à réagir émotionnellement au drame qui se déroule sur le plateau, la musique nous apparaît alors comme un support dramatique.

Incontestablement, ce spectacle apparaît comme un point fort dans le programme de ce Festival qui n’en finit pas de se renouveler. De par l’ampleur, la puissance et la force de la musique, des images et du lieu, on ne sort pas intact de ce spectacle qui, au travers d’une musique universelle, aborde un sujet d’une brûlante actualité.

Jean-Louis Blanc, envoyé spécial à Aix en Provence

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Photos Monika Rittershaus 

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