AVEC « IL VIAGGIO », DUSAPIN CONFIRME SA PLACE D’IMMENSE COMPOSITEUR D’OPERA

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FESTIVAL D’AIX EN PROVENCE 2022. « Il Viaggio » – Dante – Opéra de Pascal Dusapin en sept tableaux – Livret de Frédéric Boyer d’après la « Vita Nova » et « la Divina Commedia » de Dante – Création mondiale – Direction musicale : Kent Nagano – Mise en scène et chorégraphie : Claus Guth – Spectacle donné au Grand Théâtre de Provence les 8, 13, 17 et 17 juillet 2022.

C’est dans un fabuleux voyage que Pascal Dusapin, sur un livret de Frédéric Boyer largement inspiré de « La Divine Comédie » de Dante, nous entraîne au travers d’un opéra en sept tableaux. Après un prologue du Narrateur qui nous invite à la prudence, à rester en vue de nos rivages car « la mer que je prends ne fut jamais parcourue », tout commence par une vidéo : une voiture conduite par un Dante fébrile fonce dans une forêt profonde. Puis c’est l’accident provoqué par la vision de Béatrice, la muse du poète, la « gentille dame », l’objet de sa quête d’absolu.

Dante, ensanglanté dans son bureau de poète paraît dormir et rêver, puis apparaît le jeune Dante qui évoque le passé et rappelle la perte irréparable de sa dame. Sainte Lucie apparaît alors et confie à Virgile le soin de guider Dante dans ce fantastique voyage qui le conduira aux Enfers, puis au Purgatoire et aux portes du Paradis où il retrouvera Béatrice. Il finira, agonisant dans son bureau, dans l’extase et la paix, comme dans une nouvelle vie.

Le bureau, salle obscure au décor contemporain, se partage alors en deux parties pour laisser apparaître un grand espace scénique entouré d’un rideau plissé et chatoyant qui servira de décor à cet étrange voyage dans le monde de l’au-delà.

La mise en scène de Claus Guth donne une vision angoissante et mystérieuse de cette incursion fascinante dans le monde des morts. Le passage dans les cercles de l’Enfer donne lieu à de terribles danses macabres dans des chorégraphies torturées et aux souffrances des damnés dont les plaintes et ricanements donnent le frisson. Les images de Claus Guth, fortes et expressives mais toujours sobres, confortées par les lumières recherchées de Fabrice Kebour, sont toujours empreintes de beauté. Même l’horreur est belle.

Les sept tableaux du spectacle sont présentés par un Narrateur lors de courtes interventions mais l’ensemble se déroule avec une grande fluidité. La composition instrumentale de Pascal Dusapin est à flux continu et nous entraîne comme une mer sur de lents mouvements de houle. Elle semble nous prendre par la main pour accompagner Dante dans ce fabuleux et terrible voyage initiatique. Loin d’être descriptive ou ornementée, elle maintient en permanence une tension dramatique et mystérieuse et semble prendre sa source dans l’au-delà.

Si la partie instrumentale nous immerge dans cette atmosphère mystérieuse, le travail sur les voix est beaucoup plus expressif et nuancé et caractérise avec force les personnages.

Le rôle de Dante est interprété par le baryton Jean-Sébastien Bou qui traduit avec nuances les états d’âme de ce vivant parmi les morts et qui se révèle être un excellent acteur dont le jeu affirme la crédibilité du personnage.

La mezzo-soprano Christel Loetzsch incarne un jeune Dante très touchant dans l’évocation de son amour perdu et Evan Hughes, avec sa voix profonde de baryton-basse est un Virgile solide, serein, confiant sur lequel Dante peut s’appuyer.

Lucie apparaît comme un petit ange fébrile et agité qui aiguillonne Dante dans sa quête. Le rôle comporte des vocalises très travaillées, aux aigus perçants, que Maria Carla Pino Cury interprète remarquablement avec clarté et ardeur. Jennifer France incarne Béatrice et apparaît comme un idéal de beauté, érotique dans sa robe rouge et moulante, attisant le désir, tour à tour sereine et passionnée. Son timbre clair et sa voix assurée délivrent de puissants aigus.

C’est à Dominique Visse qu’incombe la redoutable tâche d’incarner tous les damnés de l’Enfer. Loin de ses rôles habituels de contre-ténor dans des opéras baroques où il excelle, il vocifère ici des ricanements et d’horribles cris dans un rôle de travesti qui a tout d’une sorcière, en portant une robe rouge, simulacre de Béatrice. Sa composition vocale est saisissante !

Kent Nagano dirige l’Orchestre de l’Opéra de Lyon avec fluidité et nous livre toute la force évocatrice de cette partition envoûtante et mystérieuse. Le chœur de l’Opéra de Lyon, invisible au public, est un « personnage » à part entière du spectacle qui commente ou supporte l’action avec la profondeur d’une parole divine, sans doute inspirée des chants grégoriens.

Le spectacle se déroule sans entracte et nous entraîne littéralement dans un flux continu d’images fortes et d’émotions, seulement entrecoupées par les interventions du Narrateur, interprété par Giacomo Prestia, qui intervient dans un langage parlé, en dehors de l’action, un peu comme un chœur grec. Le livret de Frédéric Boyer, très poétique, reste néanmoins un peu ésotérique et possède aussi, à l’instar de la musique, un caractère mystérieux. L’important est de se laisser entraîner dans ce fabuleux voyage, emporté par la force de la musique et des images, plus que de suivre le fil d’une histoire.

Cette création mondiale reçoit le meilleur accueil du public, encore sous l’emprise de cette immersion étrange dans le monde des morts, qui acclame l’ensemble des protagonistes dont Pascal Dusapin, un compositeur vivant et bien de son temps, qui explore de nouveaux chemins dans l’Histoire de la musique.

Jean-Louis Blanc, envoyé spécial à Aix.

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Photos : Monika Rittershauss

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