LA FEMME GAUCHERE : UN SPECTACLE DELICAT AU ROND-POINT

femme gauchère

« La Femme gauchère » d’après Peter Handke / mes Christophe Perton / Théâtre du Rond-Point / Jusqu’au 9 mars 2013.

Christophe Perton propose un spectacle très délicat et audacieux au Théâtre du Rond-Point, fondé sur l’adaptation du roman de Peter Handke, La Femme gauchère. Le défi était d’autant plus grand que l’œuvre en question est antidramatique au possible : une femme quitte son mari après dix ans de mariage, sans raison apparente, par peur du bonheur semble-t-il, et s’éprouve dans la solitude.

Pour adapter ce roman profondément inscrit dans l’écoulement du temps, Christophe Perton opte pour une esthétique qui relève plutôt du cinéma que du théâtre. Une voix off vient d’emblée rappeler la source d’origine du spectacle, mais pour le reste, la narration se manifeste par l’enchaînement de courtes séquences, qui rappelle la technique de montage de plans cinématographiques.

Un tel parti est permis par un espace relativement neutre, capable de suggérer différents lieux, représentant la plupart du temps une grande salle de séjour ouverte sur l’extérieur grâce à une porte et des baies vitrées. Par le vide qui l’occupe, l’immense espace au centre du plateau permet de figurer un aéroport, un paysage de montagne ou encore une ruelle sombre, le soir. Les modulations de la lumière contribuent à suggérer ces différentes atmosphères, en fonction de l’intensité lumineuse et des filtres utilisés.

Les très courtes scènes qui composent l’ensemble donnent à percevoir le temps, substance même du récit, dans sa progression, son étirement infini. Ainsi, le retour du voyage d’affaires de Bruno est immédiatement suivi par l’« illumination » de sa femme Marianne, qui conduit aussitôt à leur séparation. Par la suite, autour d’elle gravitent son fils, son amie Franziska, son éditeur qui vient lui apporter des travaux de traduction avec son chauffeur, la serveuse d’un bar et son père.

Tous ces personnages, craignant la solitude pour eux-mêmes, viennent la voir pour veiller sur elle, l’empêchant par là même de l’expérimenter. Privilégiant les scènes de confrontation, cette adaptation donne peu voix à Marianne, cœur silencieux de l’œuvre. Aucun monologue ne lui est accordé, et il incombe à Judith Henry de laisser percevoir son détachement, son apaisement peut-être, sa curiosité pour les autres mais de loin, sa réclusion volontaire et son engouement excessif pour le travail.

La structure en courts plans de cette action minimale permet de nouer de façon progressive une certaine intimité avec cette femme. L’absence de mots posés sur ce qui se déroule entretient un mystère fascinant. Si les rôles sont disproportionnés, si l’on s’étonne chaque fois de voir apparaître un nouveau comédien pour un instant seulement, il faut souligner leur talent à tous. Chacun est pris dans la détresse plus ou moins déguisée de son personnage, et tous sont touchants, vrais et authentiques voudrait-on dire, si cela pouvait avoir un sens au théâtre.

Un tel défilé autour d’un même point, Marianne, finit par former une ronde. Lors de la scène finale, tous se retrouvent plus ou moins par hasard et découvrent que celle qu’ils croyaient seule, noyée dans le travail, est plus entourée qu’eux-mêmes. On atteint là l’acmé du spectacle, mais à l’image de tout ce qui précède : c’est un ballet de gestes de douceur et d’invectives, de frôlements et d’effleurements, entrecoupés de longs silences, de rire et de violence, de tendresse et de tristesse.

Malgré tous ceux-là, la femme reste entière, libre, intouchable même la plus entourée. Le rythme audacieux du spectacle et l’originalité de l’œuvre dont il s’empare pour le théâtre révèlent une grande délicatesse et une grande sensibilité de la part des artistes.

Floriane Toussaint-Babeau

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