MATHIEU MERCIER : SUBLIMATIONS

Exposition Mathieu Mercier au Crédac.

L’espace du Crédac (Ivry-sur-Seine) présente depuis la  fin du mois de janvier une exposition personnelle de Mathieu Mercier (né en  1970, vit et travaille à Paris). L’artiste n’avait pas bénéficié d’une  exposition d’une telle ampleur depuis Sans Titre, une rétrospective de ses œuvres produites entre 1993 et 2007 au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris.  Il jouit actuellement d’une double actualité, au Crédac et à la Backslash Gallery où il est commissaire d’une exposition collective visible jusqu’au 25  février 2012.

 Entre art conceptuel, expérience scientifique, design inutile et  métaphysique, la pratique de Mathieu Mercier pose l’objet au cœur de sa  réflexion. Il se situe entre Kazimir Malevitch et Marcel Duchamp, entre les  avant-gardes et le geste radical, minimal, ready-made. Pour cela, il déploie un  univers complexe où l’objet est scruté non seulement dans sa matérialité, mais  aussi dans sa fonction, son détournement. Il est chaque fois mis en abyme dans  un processus ou un système qui engendre sa production, sa multiplication, sa  standardisation et qui lui attribue une fonction précise. Un objet qui, une fois  détaché de l’environnement auquel il est destiné, produit un sens nouveau. Au  Crédac, l’artiste présente une série d’œuvres récentes, pour la plupart  inédites.

L’exposition est formée de trois volets distincts. Trois  tableaux où l’objet est chaque fois envisagé d’une manière différente. Dans un  premier temps, le spectateur déambule autour de plusieurs socles blancs sur  lesquels sont disposés un objet et un instrument de mesure légèrement déformés.  Ainsi nous rencontrons un poisson rouge dans un bocal rond, un régime de  bananes, une valise à roulettes, une pile d’assiettes blanches, une paire de  jumelles, une éponge sèche ou encore une chandelle allumée. Des objets issus du  quotidien, triviaux et considérés comme tels. Il dit : « Il s’agit d’intervenir avec le réel disponible, selon une  méthode qui semble utiliser les éléments d’un environnement très proche :  considérer le réel comme une « matériauthèque » et la disponibilité immédiate  des choses. Même si cela ne simplifie en rien ce qui au final fait œuvre. »[1]

Le titre de l’exposition provient de la technique dite  de la sublimation, permise grâce au Corian, une marque désignant un matériau  composé de deux tiers de matière minérale et d’un tiers de résine. Cet alliage  créé à la fin des années 1960, permet la production de plans de travail  résistants et de meubles extrêmement solides. Mathieu Mercier a donc produit une  série de socles blancs, vierges et brillants, sur lesquels il a procédé à des  sublimations. C’est-à-dire à des impressions comme des tatouages, puisque, comme  dans la peau, les encres sont incrustées dans le Corian. L’encre fusionne avec  la matière sans aucune preuve visible d’une intervention humaine. Il explique  qu’il s’agit d’une technique « à chaud permettant d’avoir de l’encre dans le  matériau et conférant une unité à l’ensemble du socle. Ceci facilite beaucoup  les affiliations que je voulais entre l’impression dans le socle et l’objet  apposé. Cela fonctionne comme un dialogue, j’élimine donc tous les gestes qui se  rapportent à la construction d’un socle afin qu’il n’y en ait aucune trace et  par conséquent qu’aucun geste ne se rapporte à ce travail. »[2] Ainsi sont imprimés des outils de  mesure rendus inutilisables à l’image des nuanciers déformés. Le mouvement, la  perception et la réalité tangible des objets sont convoqués pour nous amener à  penser autrement notre environnement direct, usuel, familier, matériel.

Le second volet se concentre sur la relation qui existe  entre l’objet, l’espace et le corps du regardeur. Pour cela il met en place un  dispositif nous rappelant un environnement faussement urbain formé d’objets  faussement design : un lampadaire/réverbère produit à partir d’un panneau de  basket, lui-même augmenté de plusieurs cerceaux. Dans chacun d’eux est posée une  ampoule ronde, trop grandes pour les cerceaux. L’objet est détourné, le panneau  produit de la lumière et empêche tout effort physique. Plus loin, un tube blanc  est marqué de trois ronds colorés, cyan, magenta et jaune, trois couleurs  primaires, à la base de toute image. Les ronds, qui nous rappellent vaguement un  feu tricolore, sont barrés d’un trait réalisé à la bombe noire. Un graffiti  minimal. Contre le tube est adossé un vélo noir. Un objet quotidien, commun, qui  n’est pas rapport avec son maître à penser, Marcel Duchamp. L’artiste dispose  ensuite deux tubes de canalisation gris, parallèlement. Ils représentent un banc  public, reformulé, inconfortable, inhospitalier. Une zone normalement extérieure  est emboitée dans un espace intérieur. Un espace d’exposition lui-même emboité  dans un ensemble qui le dépasse et le noie, puisqu’il fait partie d’une ville.  Un jeu de mise en abyme est permis. Ce second volet représente un espace urbain  mental, standardisé, concentré, synthétisé. Un espace favorisant une réflexion  sur nos rapports et nos conceptions de la ville et du mobilier urbain. Il s’agit  chaque fois de produire une réflexion alternative, un sens nouveau, au creux  duquel l’objet et l’idée que nous nous faisons d’un objet spécifique perdent  leur valeur initiale. La perception commune est  bousculée.

Le troisième et dernier tableau est plus énigmatique,  troublant et mystérieux. Dans une salle obscure, le regardeur se retrouve face à  un diorama, une grande vitrine comme celles que nous pouvions voir dans les  anciens musées d’histoire naturelle. Dans cette vitrine qui a traversé les âges,  se niche un couple d’axolotls vivants (« chiens d’eau » en langue aztèque). Il  s’agit du seul animal amphibien sur terre pouvant vivre et se reproduire à  l’état larvaire. Il possède la particularité fascinante de pouvoir totalement  régénérer ses membres et ses organes. Il est un véritable mystère pour la  science, car il peut reconstruire, à partir de lui-même, un œil, une partie de  cerveau, un poumon etc. Un animal étonnant, qui, lui aussi, a traversé les âges.  L’artiste précise : « Ils sont probablement les meilleurs représentants de cette  idée que l’on se fait de l’évolution, du passage de l’eau à la terre. Le paysage  est signifié par un dispositif très simple puisqu’il s’agit d’un tas de terre  dans lequel est encastré l’aquarium accueillant le couple. Cette pièce a donc un  statut un peu particulier car elle est constituée d’un aquarium intégré dans un  diorama, ce qui génère une mise en abyme facilitant la manière dont le  spectateur peut s’inclure dans cette perspective historique, d’une manière  presque spéculaire. »[3] Dans un paysage extraterrestre,  composé de terre et d’eau, les étranges petits animaux posent des questions  liées au temps, à l’évolution (humaine, organique, végétale et animale), au  présent etc. Il incarne aussi un espoir fou pour la recherche médicale et pour  l’évolution humaine, en cela il apparaît non seulement comme un artefact  préhistorique mais aussi comme une source d’optimisme pour le futur. Dans leur  écrin suranné, les deux axolotls apparaissent en totale opposition avec le monde  des objets présentés dans les deux salles précédentes. Contrairement aux objets  uniformisés et manufacturés, ils sont mutants, rares, organiques, modulables,  mystérieux et inaltérables. Ils incarnent un champ des possibles extraordinaire  et réjouissant.

Julie Crenn

Exposition Mathieu Mercier – Sublimations, du 20 janvier au  25 mars 2012, au Crédac (Ivry-sur-Seine).

Plus d’informations sur l’exposition  :http://www.credac.fr/

Plus d’informations sur l’artiste  :http://mathieumercier.com/

Voir aussi l’exposition Backstage (retour de stage),  Commissariat de Mathieu Mercier, du 7 janvier au 25 février 2012, à la Backslash Gallery (Paris). Article Inferno : http://ilinferno.com/2012/01/15/backstage-retour-de-stage-experiences-partagees/.


[1] DEJEAN,  Gallien. « Entretien avec Mathieu Mercier » in Zéro Deux, février 2012. En ligne  : http://www.zerodeux.fr/entretien-avec-mathieu-mercier.

[2] Ibid.

[3] Ibid.

Visuels : 1.  Mathieu Mercier / Vue  de l’exposition Sublimations, Centre d’art contemporain d’Ivry – le  Crédac, du 20 janvier au 25 mars 2012 / Au  premier plan : / Sans titre (vase/disque chromatique),  2011-2012 / Vase, plexiglas, eau, sublimation sur socle en  Corian / 120  x 60 x 60 cm / Courtesy de l’artiste / Photo : © André Morin / le Crédac

2.  Mathieu Mercier / Vue  de l’exposition Sublimations, Centre d’art contemporain d’Ivry – le  Crédac, du 20 janvier au 25 mars 2012 / De  gauche à droite : – Sans titre, 2012 / Acier laqué noir, 10 anneaux de paniers de basket, 10  boules en PVC, système électrique, 340 x 170 x 170 cm – Sans titre (vélo/primaires aérosol), 2012 / Vélo, sublimation sur Corian, 150 x 185 x 70 cm – Sans titre (banc), 2012 / Structure en acier, deux sections de canalisation en  PVC, 80 x 292,5 x 70  cm / Courtesy de l’artiste / Photo : © André Morin / le  Crédac

3. Mathieu Mercier / Sans titre (couple d’axolotls),  2012 / Vitrine, éclairage néon, terre,  aquarium, eau, couple d’axolotls / 219,5 x 180 x 330 cm / Vue  de l’exposition Sublimations, Centre d’art contemporain d’Ivry – le  Crédac, du 20 janvier au 25 mars 2012 /Co-production le Crédac,  courtesy de l’artiste / Photo : © André Morin / le Crédac

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