MASAKO ONO, UNE DANSEUSE JAPONAISE TOUCHEE PAR LA GRÂCE DES DIVINITES INDIENNES
Correspondance depuis Delhi
CARNETS DU MONDE / Reportage (suite) : L’Inde, un milliard d’yeux qui dansent , par Audrey Chazelle.
Suite de notre reportage depuis l’Inde du Nord, « L’Inde, un milliard d’yeux qui dansent ». Deuxième partie : la danse indienne, et un focus sur une artiste d’orignine japonaise, Masako Ono, éprise de l’art hindou de la Danse.
Danse céleste et regards divins
La plupart des figures hindoues sont représentées en positions de danse ou y ressemblant avec une gestuelle très significative. La danse est effectivement une manifestation centrale de la culture indienne puisqu’elle est directement associée à l’entendement. L’action de Shiva, le dieu symbole de la symbiose de la destruction et du renouvellement, se conçoit à l’intérieur d’une danse cosmique. Pour les hindous, la danse est plus ancienne que le monde lui-même car c’est précisément en dansant sur le mont Kailasa que Shiva créa le cosmos. Représenté avec 4 bras, la main supérieure droite tient un tambour qui rythme la création, instrument omniprésent sur la scène indienne ; la main gauche supérieure porte la flamme de la destruction; la main inférieure droite image un geste de protection; la main inférieure gauche pointe vers le pied gauche tenu en l’air, signifiant son pouvoir de grâce. Sous son pied droit, il écrase un nain-démon symbolisant l’ignorance. C’est sous cette forme qu’il est vénéré par les artistes scéniques (musiciens, danseurs, comédiens) indiens.
Dans les danses indiennes, les positions des doigts et des mains (les mudras) sont absolument hypnotiques.Ce sont les médiateurs de la connexion entre le terrestre et le céleste. La poésie née de cette image symbolique créée par une gestuelle structurée de la pointe de la tête à la pointe des pieds. Les directions sont précisément données par le regard, les bras, les jambes dans une expressivité émotive et une esthétique éblouissante. Sans chercher la contrainte ni la force, la sensualité émerge de cette association symbolique. Les costumes sont directement inspirés des sculptures et images antiques. Populaire, classique et contemporain, on trouve tous les styles de danse en Inde.
Une heure avec Masako Ono, danseuse japonaise touchée par la grâce des divinités indiennes.
Débarquée en Inde et 1996, Masako Ono s’installe du côté de Bangalore, pour devenir une danseuse professionnelle de danse Odissi, raconte-t-elle. Ce qu’elle est aujourd’hui, après avoir reçu un enseignement professionnel de la danse Odissi, du Yoga et du Pilates. Elle transmet aujourd’hui son art en donnant spectacles et cours aux quatre coins de la planète.
Masako Ono, d’origine japonaise, a complètement absorbé la culture indienne à tel point qu’elle est aujourd’hui reconnue comme la meilleure danseuse contemporaine de l’Inde. Elleest devenueune célèbre ambassadrice de l’Odissi, la danse de l’Etat d’Orissa. Elle est l’exemple typique de cette assimilation culturelle indienne. Le 19 décembre dernier, elle était à Delhi, au centre culturel Epicentre, dans le quartier de Gurgaon, pour présenter 6 courtes variations, déclinant le genre du traditionnel au classique, au contemporain, mêlé à ses autres influences. Elle rendait ce soir-là un bel hommage à la danse indienne, fruit d’un soutient indo-japonais, collaborant avec deux autres danseurs et un orchestre de musiciens indiens.
La première partie sert un récitaldes thèmes de l’odissi, nourris des contes de la vie du Dieu Krishna, emplis de poésie, d’amour, et de dévotion. La chorégraphie alterne entre danse pure et danse narrative, chaque mouvement revêt un discours symbolique où les yeuxreflètent l’élément clef de l’expression scénique. L’aspect sculptural de la danse s’inspire des images antiques, celles-ci se figent dans les positions corporelles de flexion : de la tête, du corps des jambes, au niveau du cou, de la taille et des genoux. Symbiose visuelle de la grâce de l’âme et du corps, l’émerveillement est immédiat. L’usage des mudras et des autres expressions mimiques et corporelles crée cette connexion entre tous ces gestes. Comme si elle tenait un fil entre pouce et index, activant tous les autres mouvements des yeux, de la tête, des épaules, hanches, jambes, pieds. L’orchestre qui l’accompagne en live se compose de percussions (cymbales et tambour), flûte de roseau (bansuri) instruments à corde (sitar, tampura)… La combinaison de la danse et de la musique vous transporte dans un voyage asiatique à travers ces différents âges.
En seconde partie, Masako Ono fait évoluer sa danse traditionnelle indienne vers la danse classique puis contemporaine, faisant entrer en jeu les autres cordes qui composent son arc. « The dance of the crane » fait référence à sa culture d’origine. Japonisant son langage corporel par la voie de l’oiseau, elle incarne le crane, symbole national et allégorie de longévité au Japon. La flûte bambou japonaise rejoint alors le son des instruments indiens dans un aérien mélange sonore.
Masako Ono achève sa démonstration avec la « danse de la reine », où l’élément écran entre en scène, utilisé pour produire ombres chinoises, projections de couleurs et de photos montage. (*cf video) L’image symbolique disparaît alors derrière l’image réelle et emporte avec elle toute sa poésie. Le samouraï entre dans un combat où les mouvements du corps, en se « modernisant », se ternissent et perdent de leur puissance.
Enracinée comme un arbre dans ces traditions, la culture indienne s’appréhende dans le chaos du milliard d’habitants qui compose ses branches. La culture spirituelle est ici plus forte que la conscience environnementale. Aussi, la vénération de la nature côtoie le jet à l’eau d’offrandes de fleurs dans des sacs plastiques… En même temps que votre regard sur elle diverge, le regard de ses habitants lui ne vous quitte pas. Le malaise que l’on peut ressentir avec cette culture, c’est que vous ne pouvez la regarder sans être regardé vous même, et de fait, sans avoir à un moment à vous regarder aussi.
Dans la culture hindoue, les contrastes sont inhérents au progrès. La création ne s’est pas faite ailleurs que dans le chaos et le renouvellement passe par la destruction. Il ne fait donc pas avoir peur du bouleversement pour approcher cette culture de Vérité.
Audrey Chazelle,
India, décembre 2012
LIRE la première partie de notre reportage : http://wp.me/p1JWTy-2AU
Photos : 1/ Masako Ono, danse de la reine 2/ Masako Ono, Odissi traditionnel / Visuels et texte copyright Audrey Chazelle / Inferno Magazine 2013.
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