SUPERAMAS, GOB SQUAD, ROGER BERNAT, DANIEL LINEHAN AU FESTIVAL « DES SOURIS, DES HOMMES »

Superamas_Theatre[1]

Festival Des souris, des hommes (suite) : Daniel Linehan, Gob Squad, Superamas, Roger Bernat / scène conventionnée du Carré / Les Colonnes en Gironde / du 15 janvier au 1er février 2013.

En-suite, des projets « made in international » :

Zombie Aporia (Etats-Unis) : Daniel Linehan, danseur et chorégraphe américain dont la notoriété internationale est désormais acquise, en choisissant ce titre à sa nouvelle performance l’a inscrite d’emblée dans la contradiction logique impossible à résoudre (le « mort » s’opposant ipso facto au « vivant »). Seule reste alors la possibilité de mise en tension de deux termes sans qu’aucune « harmonie » entre eux ne soit possible: le corps et la voix, le geste et le langage, la danse et la musique.

Sa performance, construite comme un concert de rock dont les titres des morceaux s’enchaîneraient les uns aux autres (huit en tout, sans lien apparent entre eux, si ce n’est l’intensité de l’énergie vocale et de l’engagement corporel des trois danseurs choristes, deux hommes et une femme) « réalise » cette aporie. Alors qu’un écran géant reproduit les mouvements anarchiques des acteurs habités par une énergie explosive, ces derniers lisent de manière décalée sur un écran d’ordinateur les indications à suivre et la salle qui a été filmée se retrouve elle-même dans le « spectacle » comme si l’on était vraiment dans un concert rock.

L’illusion fonctionne, on est absorbé par la vitalité discordante qui se déroule à la fois sur les écrans et sur la scène : entrent en collision, ou parfois s’harmonisent un bref instant, fragments de discours (amoureux ou pas …), chuchotements de mots prononcés par un autre, éclats de voix, chansons a capella, frénésies gestuelles, arrêts sur image. Aucun instrument extérieur : la voix et le corps seulement pour fabriquer des liaisons et dé-liaisons « parlantes », même si c’est souvent d’absurde dont il est question.

Daniel Linehan, qui a rejoint à Bruxelles l’école fondée par Anne Teresa de Keersmaeker (dont les créations En atendant et Cesena viennent d’être présentées au Grand Théâtre de Bordeaux en lien avec le TnBA) incarne actuellement l’avant-garde de la danse contemporaine. Une grande part du public ne s’y est pas trompé, a vibré aux accents endiablés de ce spectacle réjouissant autant que déroutant, et a accueilli avec le même enthousiasme que celui produit sur scène cette performance énergisante.

Before your very eyes (Royaume-Uni / Belgique) : Gob Squad dont les représentations sont données sur pas moins de cinq continents, et qui s’est bâti une réputation reposant sur l’intégration des activités artistiques à la banalité du quotidien, met en place pour ce nouveau spectacle un dispositif des plus originaux : le résultat est renversant!

Quatorze enfants (âgés alors de 7 à 12 ans) ont été enregistrés en 2009 et interrogés, face à la caméra, sur leurs questionnements sur le monde tel qu’il va et sur eux-mêmes. Trois ans plus tard, sept d’entre eux sont là, « juste sous vos yeux », pour dérouler le fil de leur existence passée, présente, mais aussi future puisqu’il leur sera demandé de « jouer » leur vie à quarante ans … et même jusqu’à leur mort.

Derrière une vitre sans tain qui les sépare du public, dans une sorte d’aquarium géant, ils vont vivre devant nous, le temps du spectacle, les différentes étapes de leur vieillissement. Ce jeu en direct, guidé par une voix extérieure qui prend les accents de la neutralité bienveillante, est entrecoupé de séquences vidéo où on les voit, enregistrés, lorsqu’ils avaient trois ans de moins, au tout début de cette expérience inédite.

Ainsi, « l’enfant » qu’ils ont été peut dialoguer soit avec le jeune qu’ils sont devenus, soit avec l’adulte qu’ils se projettent devenir. L’effet de ce dialogue est saisissant : parfois on sent l’empathie qu’ils ont toujours pour eux-mêmes, parfois au contraire « le jeune » est très dur vis-à-vis de « l’enfant » qu’il était, parfois c’est l’enfant qui ne se retrouve plus dans l’ « adulte » qu’il est devenu. Un dialogue entre soi et soi ; un remake contemporain de « Du côté de chez Soi » mais à prendre non seulement comme une recherche du temps perdu mais aussi de celui « à- venir » …

Le spectateur, mis face à face avec la jeunesse de ces « acteurs » (au sens d’acter sa vie) qui ont maintenant entre dix et quinze ans à peine, prend « en pleine figure » la lucidité d’anticipation souvent cruelle de ces pré-adolescents.

Sous une forme apparemment ludique, en mêlant les ressources de la vidéo au théâtre vivant, Gob Squad fait une proposition riche en questionnements. Ce qui se joue là, ce n’est ni plus ni moins que l’appréhension du sens de l’existence au travers d’un processus accéléré qui nous mène des illusions de l’enfance aux réalités du temps qui passe en nous et qui détruira, ou pas, la magie des débuts.

Un très grand moment qui vient se ponctuer par les saluts des enfants qui, « en traversant le miroir » de la vitre sans tain qui nous dissimulait à leurs yeux, font irruption sur scène ; leur jeunesse nous apparaît alors encore plus éclatante.

Theatre (Autriche / Belgique / France) : Superamas est un collectif d’artistes qui se dit « marrant » … et qui l’est avec une jubilation visible ! Ne se prenant pas au sérieux (pas plus d’ailleurs que les conflits guerriers qu’il évoque de manière iconoclaste…), refusant que l’art contemporain soit élitiste, il ne renie cependant aucune des exigences qui font qu’un spectacle peut permettre (ou pas) une appréhension du monde actuel en fournissant quelques outils pour en faciliter la « lecture ».

Leur propos est ici de démonter (de manière joyeuse !) les mécanismes qui brouillent la lisibilité des enjeux lors d’affrontements armés. Et pour « démonter », il faut d’abord « montrer » … Alors quoi de mieux de « délocaliser » les conflits meurtriers qui déciment les populations d’Afrique et du Moyen-Orient chez nos voisins belges ? Les Wallons et les Flamands se déchirent en effet dans une guerre civile implacable. Le sauveur, capable de régler le conflit ? Le Colonel Kadhafi, bien évidemment ! Connu pour ses qualités de démocrate attaché aux valeurs de liberté comme à la prunelle de ses yeux, arborant de magnifiques lunettes noires de star (qui les dissimulent, ses yeux …), il va prendre la tête de l’armée de libération révolutionnaire qui se lève, vent debout, contre la répression ordonnée par l’affreux roi des Belges …

Ce « grand retournement » de situation qui voit en direct, sur l’écran et sur la scène, le dictateur libyen sanguinaire endosser les habits du généreux combattant pour la liberté, avide de libérer le pays de Tintin de la dictature menaçante, crée d’emblée une distanciation humoristique. Dès lors, « la fabrique de l’info » est exhibée, mise à nue, dans un show démystificateur et ravageur. Les procédés du cinéma hollywoodien sont eux aussi utilisés pour sensibiliser à la « guerre spectacle » telle qu’elle a pu notamment apparaître au journal de 20h sur nos écrans cathodiques naguère, ou plasmas actuellement. Au rythme de déhanchements étudiés sur des musiques rock’n’roll, arborant un sourire éclatant de blancheur, entouré de bombes sexuelles en armes, le Colonel est relooké en play-boy inoffensif, en libérateur (presque) sympathique, et devient tout naturellement le héros de cette super-production.

Ainsi, en mettant en scène ce « Printemps belge » comme un opéra rock « très sexe », en mêlant séquences filmées, jeux sur scène et jeux dans la salle (puisque le Colonel en personne et de splendides femmes soldats, armées jusqu’aux dents et dénudées jusqu’aux cuisses, arpenteront les travées de fauteuils), Superamas fait exploser les barrières entre réalité et fiction (c’est-à-dire toutes les représentations du réel qui nous sont servies religieusement sous l’appellation abusive et un brin tendancieuse d’ « informations »).

Ce « dévoilement » de la fabrique de l’info, écho subliminal du début du spectacle où des danseuses orientales avaient lascivement ôté un à un leurs voiles pour se mettre à nu devant nous, fonctionne de façon jubilatoire. « L’alibi », en cela, a montré tout son pouvoir.

Pendiente de Voto (Espagne) : Roger Bernat avec son complice, Yan Duyvendak, nous avait introduit en novembre dernier (au Carré de St Médard en Jalles, dans le cadre de Novart) au cœur même de là où se fabriquent les jugements de justice. En effet dans leur proposition Please Continue, Hamlet, à partir d’un vrai fait divers où, à Marseille, un jeune homme avait tué son futur beau-père, une cour de justice était reconstituée et le public assistait en direct au procès du criminel (joué par un acteur) alors que les rôles du personnel de justice étaient joués par de vrais professionnels du barreau. Quant au verdict, il revenait au jury populaire (tiré au sort dans le public) de le rendre. Les rouages aléatoires de la Justice étaient ainsi exhibés en pleine lumière.

Là, dans Vote en cours, ce n’est plus une Cour de Justice qui sert de laboratoire à la démocratie participative mais tout l’espace dédié au théâtre devient un Hémicycle où les députés (c’est-à-dire, nous, les spectateurs), munis d’un boîtier électronique, doivent voter OUI ou NON aux questions-situations qui se déroulent sur l’écran géant. La politique se fait en direct, devant nous et par nous, par le biais de télécommandes !

Certaines des questions soumises à l’appréciation des représentants du peuple que nous sommes pour un soir, sont (apparemment) loufoques (Les toilettes pour hommes doivent-elles être distinctes des toilettes pour femmes ?), d’autres semblent à connotation plus politique (Pensez-vous que la circoncision doive être prise en charge par le budget de la sécurité sociale ?), d’autres encore apparaissent sans aucun fondement (Entre Billie Holiday et Amy Winehouse, où va votre choix ?), quant à celle qui ponctue les différentes phases de cette séance parlementaire, revenant comme un leitmotiv apparemment « hors sens » (Êtes –vous pour ou non qu’il neige dans cette salle ?), elle est en fait lourde de signification : soumettre au jugement « démocratique » la météo qu’il doit faire, n’est-ce pas, en creux, insinuer la vacuité de certains débats parlementaires ?

Chacun, ayant en main son propre boîtier, instrument de pouvoir, est invité à statuer sur ce qui fera la loi. Puis, dans un second temps, après que la neige eut tombé dans la salle comme des confettis festifs (rappel subliminal que des mots échangés précédemment « on fait des confettis »…), chacun est rapproché d’un autre (dont les votes correspondent) pour continuer la séance, avec cette fois une seule télécommande pour deux, ce qui suppose une « concertation » avant de délivrer son vote. Dans un troisième temps, quatre groupes, quatre télécommandes. Enfin, dans un quatrième temps, un seul groupe, une seule télécommande … Et c’est là, où cela devient totalement ubuesque …

La machine s’emballe et l’unique représentant du peuple pouvant voter, soumis alors aux désirs secrets de l’infernale machinerie « démocratique », est harcelé jusqu’à à avoir à lui déclarer son amour. De quoi cela peut-il bien être la métaphore ? Si ce n’est de ce que Guy Debord naguère nommait « La Société du Spectacle ». Ainsi, sous la forme d’une farce à laquelle chaque spectateur (il n’y a pas d’autres acteurs que nous !) participe activement (et souvent très sérieusement : on ne va pas laisser passer cette occasion unique qui nous est donnée de nous exprimer, enfin !) se dévoile le vide abyssal du débat parlementaire et conclut à la faillite de l’illusion démocratique.

Ce théâtre de l’immersion, à forte connotation politique, participe grandement (au-delà de son aspect ludique jouissif) à une œuvre de salubrité publique : en effet loin de prôner un système dictatorial, il met en exergue les dérives de débats creux qui, sous couvert de démocratie, plombent … la Démocratie elle-même ; ce système étant, faut-il le rappeler, selon le mot de Churchill, «le pire des régimes à l’exception de tous les autres ».

Yves Kafka

superamas[1]

gob-squad3-3110111035470[1]

visu639_Jean-Luc-Tanghe-3[1]

pendiente_de_voto-terni[1]

Visuels : 1&2/ Superamas : Theatre 3/ Gob Squad : Before your very eyes 4/ Daniel Linehan : Zombie Aporia 5/ Roger Bernat : Pendiente de Voto / Photos DR / Copyright les artistes / Festival Des souris, des hommes 2013.

Laisser un commentaire

  • Mots-clefs

    Art Art Bruxelles Art New York Art Paris Art Venise Biennale de Venise Centre Pompidou Danse Festival d'Automne Festival d'Avignon Festivals La Biennale Musiques Palais de Tokyo Performance Photographie Théâtre Tribune
  • Archives