ADEL ABDESSEMED, DAMIEN HIRST, FRANCESCO VEZZOLI : LE QATAR SE PAYE LE GRATIN DE L’ART
TRIBUNE : Quand le Qatar se prend d’amour pour l’art contemporain.
Damien Hirst, Adel Abdessemed, Francesco Vezzoli : en quelques jours, Doha, capitale tape-à-l’oeil du Qatar s’offre ce qu’il y a de plus « bankable » sur le marché de l’art, à grands flots de millions de dollars.
Ainsi, ce sont pas moins de quatre expositions grand format et avec « stars » qui ont été inaugurées entre le 5 et le 9 octobre à Doha : Adel Abdessemed, tout d’abord, qui signe « L’âge d’or » au tout nouveau musée d’art moderne et contemporain de Doha, le Mathaf, accompagnée d’une autre expo dans une galerie chic de la capitale qatari. Damien Hirst lui, monte une expo monstre de ses oeuvres à Al Riwaq, un rien mégalo et bling-bling, intitulée « Relics », paraît-il la plus grande jamais réalisée autour de ses oeuvres. Enfin, Francesco Vezzoli, célèbre photographe trublion italien, s’offre les services de la star des curators Ulrich Obrist, pas moins, pour une méga expo à sa gloire.
Par ailleurs, Adel Abdessemed avait installé également sa célèbre sculpture « coup de tête » sur la Corniche de Doha, retirée depuis (la semaine dernière), pour cause de trouble à l’ordre public… L’artiste « sans dieu ni maître » est en effet menacé d’une « fatwa » par des radicaux, pour qui la sculpture d’Abdessemed est «une invitation à l’idolâtrie et l’Islam interdit toutes statues représentant des êtres humains ou des animaux»… «Nous voulons une légitime fatwa émanant du ministre des affaires étrangères contre cette statue. Les statues sont interdites en Islam et l’action de Zidane n’était pas éthique» se répandent les mêmes sur Twitter…
Abdellah Karroum, directeur de Mathaf déclarait pourtant : «L’exposition d’Adel Abdessemed est le premier projet curatorial majeur produit par Mathaf que je vais avoir le plaisir d’ouvrir depuis ma récente nomination au poste de directeur. « L’âge d’or » est sans aucun doute une exposition très difficile à bien des égards, mais qui je l’espère va entrer en résonance avec les visiteurs en provenance du Qatar et du monde entier. Adel est un artiste avec qui j’ai beaucoup travaillé dans le passé. Son travail contribue de manière substantielle au débat d’idées et ouvre la voie vers de nouveaux concepts dans le monde de l’art et le monde en général « .
Et celui de l’argent, serions-nous tentés d’ajouter. Le Qatar peut tout se permettre, et dès lors qu’il n’y a pas trop de cul dedans, s’offrir les oeuvres les plus chères du moment, les services des plus grands curators et artistes, en y mettant le prix. Le tout à la gloire d’un pays qui s’affiche volontiers à l’international, mais dont on fait trop souvent semblant d’oublier qu’il est parmi les pires des autocraties expansionnistes. Et qu’il finance sans sourciller la lie des groupuscules prosélytes d’un islam radical. Quant aux libertés individuelles, les droits de la femme, tout ce fatras idéaliste bien occidental, il les bafoue quotidiennement, et cela ne semble guère affecter son irrésistible percée dans le monde. Bref, le Qatar veut bien de l’art et des artistes, mais sans les idées.
Ludivine Michel
Exposition Adel Abdessemed à Doha (Qatar) : « L’âge d’or », du 6 Octobre 2013 au 5 Janvier 2014 au Mathaf : Musée arabe d’art moderne, rez de chaussée et Atrium.
Visuels copyright Adel Abdessemed / Mathaf Doha.