PEREZ & BOUSSIRON, « BIOPIGS », NANTERRE-AMANDIERS

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Sophie Perez et Xavier Boussiron / Biopigs / Théâtre des Amandiers / 9 – 19 avril.

La méthode est imbattable. Choisir la fin des spectacles, y revenir encore et encore, des dizaines des fois, dans un vaste registre allant du théâtre de boulevard au théâtre d’auteur, en passant par la danse, le cabaret ou encore le concert. S’intéresser à ce moment qui précède les saluts – climax, dénouement, chute, suspension ou encore promesse d’un retour – qu’il charrie malgré lui des lambeaux de la pièce ou qu’il en construise patiemment la résolution. Le noyer enfin dans la déferlante ou, selon le cas, la mare d’applaudissements, passage obligé qui valide et entérine le contrat spectatoriel, avec son lot d’émotions sur la scène et dans les gradins – enthousiasme ou circonspection, joie, satisfaction, autocongratulation complaisante ou encore pur exercice d’un métier performatif.

Sophie Perez et Xavier Boussiron s’attaquent une fois de plus aux codes de la représentation, à l’un de ses éléments clé, son rituel liminaire, à l’endroit où la fiction sonne le glas, est sur le point de se dissiper, et s’obstine pourtant, persiste encore dans les rappels. L’interprète se libère de l’emprise du rôle, mais n’est pas encore affranchi des impératifs de la représentation de soi sur scène. La mise à nu et en abîme est vertigineuse qui active une foule de modalités différentes de négociation de ce passage. Nous serions tentés d’approfondir ces matériaux éclectiques qui vont de Duras à Chéreau, en passant par Gisèle Vienne et Anthony Hopkins. Biopigs ravale rapidement tous les indices, ne nous laisse pas de répit, ne sacrifie pas aux typologies et analyses, s’inscrit dans un champ résolument plastique, sur des terrains mouvants soumis à un déferlement de matières, avance à toute allure, opère par accumulation.

Des sédiments hétéroclites se font écho dans la durée, car, comme toute excellente création, la pièce du Zerep continue de travailler au delà des limites du spectacle, instille un tas de questions espiègles et malicieuses, vivifiantes. Sur le moment, la course est effrénée. Sophie Perez et Xavier Boussiron ne se situent pas dans la formule. L’impact est toujours précis et sans appel, soigneusement anticipé par l’écriture, mais le rythme se permet des modulations. Haletant, Biopigs ménage aussi des moments de respiration, plonge parfois plus loin dans le corps d’une pièce, lui laisse et nous laisse du temps.

Le jeu de la reconnaissance des sources ajoute indéniablement à la saveur de la création. La frappe est chirurgicale et à tous les coups, le prélèvement, pas nécessairement littéral, arrive à rendre, au delà des effets de mode et d’un certain engouement médiatique, les failles et les afféteries de certaines pièces désormais « cultes ». Le rire est impitoyable qui balaie Clôture d’amour. Ce même rire peut également insuffler le trouble quand il révèle certaines atmosphères à proprement parler felliniennes.

Le spectacle des vanités se déroule sous le regard attentif mais blasé d’une étrange entité qui vient augmenter la famille des monstres inidentifiables peuplant les spectacles du Zerep. Xavier Boussiron appelle de ses vœux « une figure de l’ego, entre le Cthulhu de Lovecraft et le grand Autre de Lacan… entre un gros foie de veau et un bout de poulpe ». Le résultat est saisissant, sa présence incontournable, un bloc opaque qui polarise les interrogations et références.

Et quand ce Yoda des Biopigs – et il n’est pas anodin de se rappeler que le nom du personnage de la saga de Georges Lucas peut signifier « celui qui sait » – ouvre la fente qui lui sert de gueule, c’est pour s’épandre dans une bouffée incontrôlable de colère qu’évoque d’ailleurs cette matière noire et visqueuse qu’il régurgite régulièrement. C’est lui qui orchestre la récupération des stars sur le retour, figure informe qui avale, mastique et recrache, alimente placidement la machine spectaculaire.

Smaranda Olcèse

Sophie Lenoir, Stéphane Roger, Marlène Saldana, Er Ge Yu / Textes Sophie Perez, Xavier Boussiron, Arnaud Labelle-Rojoux

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