PARUTIONS : PHILIPPE LACOUE-LABARTHE, « ECRITS SUR L’ART », REEDITION AUX PRESSES DU REEL
Posted by infernolaredaction on 4 mai 2015 · Laissez un commentaire
Écrits sur l’art – Philippe Lacoue-Labarthe – Presses du Réel (nouvelle édition revue et corrigée)
L’art peut-il s’identifier ? Quel est le rôle de l’écrit – discours sur l’art – dans cette perspective ? La question semble un exergue aux textes centraux de Lacoue-Labarthe, Écrits sur l’art. Plusieurs articles ont l’apparence de notes élaborées au jour le jour. Et leur auteur s’intéresse de près à l’autobiographie, la sienne propre ou celle d’autres. Le portrait définit selon lui l’art dit « moderne », cernant les enjeux de l’apparition de la photographie, du dandysme baudelairien, de la perte d’aura. Le premier texte lie ainsi les portraits photographiques de Lüthi à Baudelaire.
Prolifération d’images, modernité
Comment l’art, investi d’une prolifération d’aspects, pourrait-il s’identifier ? Pour Lacoue-Labarthe, il ne reproduit pas le réel, donne à voir « l’être présent de ce qui est présent ». Et plusieurs aspects peuvent l’être sans ars, cette habileté ancienne à reproduire – par la photographie. Ne s’identifiant pas à ce qu’il représente, l’art devient « sans sujet », « ce qui veut presque dire qu’il est désormais sans objet, comme on le dit d’une requête vaine ou erronée. » L’art serait d’identité, insaisissable. Cette question intéresse de près le contemporain.
« Un art que l’ars ne définit plus est en effet un art du sujet ». Pour Lacoue-Labarthe le lieu de l’art moderne est l’artiste lui-même – « tel qu’en lui-même enfin l’éternité le change ». Alors que la technique semble imprimer une torsion décisive, Lüthi, tournant l’obturateur vers lui-même, s’en affranchit par le dandysme. De même, entre photographie et écrit sur l’art, une trame resserrée. Lacoue-Labarthe cite Rousseau : « C’est ici de mon portrait qu’il s’agit et non pas d’un livre. Je vais travailler pour ainsi dire dans la chambre obscure. »
Les traces autobiographiques font ressembler ces Écrits…, pourtant préfaces à des monographies, aux illustrations d’un portrait perdu de l’auteur. Le lointain se rencontre par endroits. Il s’agit de le retracer.
L’installation – la pose
Plusieurs réflexions sont faites sur de grandes expositions d’art contemporain (Biennale de Venise, années 80). Les termes utilisés pour l’art, auscultés, donnent des propos lapidaires : ainsi du mot « installation ». Une fois son étymologie défaite, (stellen, installer, gestell, étagère), dérivée (vorstellung), Lacoue-Labarthe note : « certains mots, ainsi, ne tiennent pas leurs promesses ». Il scelle son désintérêt pour Joseph Beuys. En regard, c’est l’œuvre de Richard Serra, ou Salvatore Puglia. L’aura revient dans la présence auscultée d’un vocable.
Une médiocrité souvent soulignée, éléments vides, dénués de stature, met en scène un face-à-face : celui du critique avec la pièce où quelque chose point. Pour Lacoue-Labarthe, l’art s’identifie à l’éveil d’une énigme.
Un artiste dépourvu d’art, un écrivain sans littérature. C’est le constat de Barthes. L’art se présente désormais comme sujet ou personne. À quoi est-il sujet ? sujétion, symptôme apparaissent dans ces Écrits : ausculter les « idoles » ; au premier rang desquels les mots (« art » et « Luthi », indifféremment, sont mis à distance d’eux-mêmes entre guillemets). À quoi l’art est-il sujet ? équivaudrait à cette résonance.
L’inévitable éloquence
Les arts visuels sont « arts du silence ». L’installation vidéo n’est pas évoquée. Les peintures contiennent un silence tacite entre l’art et qui le voit. François Martin, « peintre (…) taciturne », « ne parle pas volontiers de ce qu’il fait. » Les toiles de Scanreigh suscitent une « épreuve du silence ». « Je les regarde et je me tais, comme si je n’en pensais rien. »
Diction, interdiction seraient tacites. Ce silence doit être répandu ou montré par l’écrit. Il est question d’un statut du discours critique. L’écrit, à mesure qu’il étend son silence, pourrait montrer quelque chose. A contrario, pour le philosophe Jocelyn Benoist, le silence est plein de bruit (Le Bruit du sensible, 2013).
Dans cette perspective, art et écrit se regardent à distance. L’écriture, remarque Lacoue-Labarthe tend vers la graphie, le graphique. Comment retirer en traçant ? Problème de graphie, suscité et appris de l’œuvre de Myonghi.
Derrière l’obturateur
Les Écrits… pensent le lien entre art et crise du sujet (entendu comme individu et comme intrusion du photographique dans l’art, qui oblitère une question : « que peindre ? »). La photographie est fixité : face-à-face entre qui voit et la présomption d’œuvre. Parallèlement, l’ek-phrasis – le dépli, l’explication de ce qui est vu – pose désormais pour son auteur, devient autobiographie.
Pour Labarthe, défait du religieux, l’art moderne a réfléchi jusqu’au discours critique. Le dandy ne fait rien et pose, collectionne ses propres effets. N’existe pas – pour avoir trop existé. Il relève d’emblée d’une déperdition, point aveugle des textes.
« Je suis, à moi tout seul, toute la matière » disait le modèle outrageant son peintre, dans un texte de Baudelaire. L’enregistrement du réel par la technique sort amoindri. Lui aussi, cependant, s’étend.
Sabrina Bonamy
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