EMMANUEL JOUTHE, « SUITES PERMEABLES », TRANSAMERIQUES MONTREAL

jouthe

Envoyé spécial à Montréal.
FESTIVAL TRANSAMERIQUES : Suites Perméables, Emmanuel Jouthe / Circuit – Est / 31 mai (15h – 16h45)

Le dur métier que celui de spectateur !

En dehors de toute programmation officielle, hors des circuits mais à Circuit Est, nous avons pu découvrir la nouvelle proposition d’Emmanuel Jouthe. Magnifique. Si vous voyez que Suites perméables passe près de chez vous, on ne saurait trop vous conseiller d’y aller…

On entre dans le studio du centre chorégraphique Circuit-Est et on est surpris du dispositif où, comme beaucoup de spectacles cette saison dans le FTA ou en dehors, les chaises sont sur la scène. Elles sont en L face à un tapis blanc. Des petits paravents servent de dossier. Le spectateur est invité à s’asseoir face à un cyclo blanc. Derrière lui sont les danseurs. Il y a l’espace d’un lai de tapis de danse entre la chaise et le cyclo. Un espace réduit, contraint. On se dit que la forme va être minimaliste et la grande force de ce projet c’est que l’énergie circule et n’est pas absente de cette proposition audacieuse et pleine de force.

Emmanuel Jouthe reprend une recherche là où l’ont laissée – voire abandonnée – ses illustres prédécesseurs. Parce que, oui, des spectacles avec cette proximité-là, on en a vus et on en a aimés, mais la force de celui-ci réside dans le fait que la recherche est reprise presque dans les fondements, que les cartes sont rebattues et qu’Emmanuel Joute ose des choses.

D’abord, il polarise l’attention des spectateurs en créant une attraction visuelle dans l’angle du dispositif, finalement la partie la plus large du dispositif. Dans cette alcôve moderne, débute une danse de groupe et on sait tout de suite que l’énergie, le mouvement, la force de la danse ne vont pas être absentes du projet, loin de là…

Ensuite, les six danseurs vont prendre chacun un lot de cinq fauteuils et expérimenter des choses en dialogue direct avec eux. Les uns n’hésitant pas à utiliser la main, le bras des spectateurs qui deviennent des interprètes de la danse, les autres ne cherchant pas esquiver cette nouvelle expérience. Et cela donne un contact très original voire nouveau avec la danse et ceux qui la font – surtout – on voit les pansements aux pieds, la corne noircie et épaisse des talons, on touche la transpiration, on sent le souffle, on voit toute la concentration qu’il faut pour tenir à la fois la proposition du projet et ne rien oublier de ce qu’il y a à faire, c’est assez captivant.

Cette alternance de douceur, cette confrontation pacifique voire drôle parfois met à l’aise, enchante et captive. En plus la danse est tout aussi passionnante que le concept, ce qui ne gâche rien… On assiste à des mouvements de chaque danseur, créant ainsi un lexique très large, sur lequel le chorégraphe-metteur en scène joue pour passer un peu de danse de l’un à l’autre… Le travail sur le centre, les hanches, la danse contact… tout est utilisé pour arriver à créer une empathie entre le danseur et le spectateur ami…

Les danseurs sont magnifiquement mis en valeur. Tous ont une partition large, un vrai parcours à défendre dans la pièce, pas d’anonymat, ou d’interprètes sur le banc de touche, non, tout compte, tout est à vue et une mention spéciale à Frédéric Gagnon, aussi bon comédien que danseur… un plaisir.

On rit aux histoires de dinosaures. On s’interroge sur la question de savoir « s’il a interrompu » quelque chose… Il y a des moments tout à fait jubilatoires où l’on retrouve toutes les questions des interprètes dans la mise en scène des spectacles « tu me dis si je suis dans ton espace » tout en bousculant l’autre danseur…

Contrairement à ce qu’on aurait pu craindre, le dispositif n’empêche rien, ni l’ampleur des mouvements ni le minimalisme que logiquement on attendait. Rien n’est petit, il y a des choses infimes mais pas que, rien n’est interdit… peut-être le point le plus discutable est-il celui de la séquence où les danseurs arrivent avec des cagoules en poils synthétiques, sorte de casque d’escrime, dont on se serait peut-être passées. En tous les cas elles intriguent mais n’offrent pas d’intérêt au regard de tout ce qui se passe pendant la pièce.

L’apothéose vient des phrases telles que « on est ensemble, on est soudés… », « nous serions prêts à danser sur le pont… du Titanic »… « si j’avais su ce que je cherchais, je l’aurais déjà trouvé »… le tout sur une entrée en jeu des spectateurs qui doivent reproduire des gestes indiqués par les danseurs, mais attention, ce n’est pas potache, ni dénué de sens. C’est actif car le spectateur doit comprendre à mi-mot ce que veut lui faire faire le danseur. Ben oui, c’est ça, dit l’un d’eux… magnifique et avec des spectacles comme « suites perméables », dur métier que d’être spectateur-interprète mais belles émotions, comme si on avait dansé.

Etienne Spaé
à Montréal

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