LE GROUPE ACROBATIQUE DE TANGER, « HALKA », DE LA BIENNALE DE LYON A LA VILLETTE
Halka – Le Groupe Acrobatique de Tanger – Théâtre des Célestins dans le cadre de la Biennale de la danse de Lyon.
Le contraste est saisissant entre l’énergie explosive de Halka et l’écrin feutré, tout en velours et dorures, du Théâtre des Célestins. Ce brouillage des frontières, ces rencontres improbables, mais combien fertiles, la Biennale de Lyon en a fait sa griffe. Les performers du Groupe Acrobatique de Tanger ont apporté du sable de leur ville natale sur la scène à l’italienne des Célestins. Pour cette nouvelle création, les artistes mondialement salués lors de leurs collaborations antérieures avec Aurélien Bory ou encore Zimmermann & de Perrot, des noms de première importance du nouveau cirque, ont décidé de revenir à ce qui définit le plus intimement leur pratique. Cette démarche d’écriture collective a quelque chose de politique, à l’heure où, à Tanger, Moune, la digue des acrobates, leur salle de répétition à ciel ouvert, en prise directe avec les éléments, a été détruite pour laisser place à une alléchante marina.
Le plateau est nu. Des numéros époustouflants vont s’enchainer qui déploient les joyaux de cet art de la voltige unique au monde, issu de la tradition amazighe de Sidi Ahmed Ou Moussa, datant du XVIème siècle, riche également de l’héritage du soufisme, et présent dans la fratrie Hammich depuis sept générations. Ces figures aériennes tiennent les spectateurs en haleine et leur font ressentir physiquement le frisson du danger et de la prouesse. Le premier geste de ces artistes accomplis est pourtant d’un grand dépouillement. Il s’apparente à une mise en partage, permet aux spectateurs d’accéder au cœur de la relation de compagnonnage et de solidarité sans faille sur laquelle s’appuie leur pratique. Un acrobate est dans les airs, dans les tourbillons d’une roue étoilée, alors qu’un deuxième l’accompagne au bout d’une longe qui assure tout en faisant ressentir le mouvement. La confiance est le mot clé qui pourrait synthétiser l’histoire du Groupe Acrobatique de Tanger, depuis sa fondation en 2003 sous l’impulsion de Sanae El Kamouni, le soutien indéfectible de la Fondation BNP Paribas et les relations renouvelées entre tradition et exigence inscrite dans le champ de la création contemporaine.
L’énergie commence à circuler, dessinant différents plans et profondeurs. Le mouvement est circulaire qui entraine la figure de la roue arabe à tourner sur elle même de par un infléchissement du corps qui, malgré la difficulté de l’exercice, pourrait se répéter à l’infini. C’est toujours vers l’infini que semblent monter les marches mouvantes qui portent Amal, un petit bout de femme d’un charisme phénoménal, vers des hauteurs vertigineuses. L’image est poétique, sa dynamique multiplie les sens. Quant aux pyramides humaines, l’une de figures par excellence du Groupe Acrobatique de Tanger, leurs différentes déclinaisons remettent en jeu dans leur maillage organique, avec élasticité, souplesse et résilience, la relation aux maitres anciens.
Les corps sont en tension. Le mouvement rebondissant les libère. La joie de chaque prouesse est communicative. Le chant final conjugue la puissance du chœur, assume fièrement le face à face avec le public, appelle au dialogue. Gageons que dans la configuration circulaire de La Villette à Paris où le Groupe Acrobatique de Tanger poursuit sa tournée jusqu’au 16 octobre, la puissance de Halka – du nom du cercle formé par la foule sur une place publique autour des artistes forains – sera d’autant plus jubilatoire.
Smaranda Olcèse
Photos DR et Ian Grandjean