« THE GREATEST SHOW ON EARTH », UN CIRQUE INTERNATIONAL DE PERFORMANCES A NANTERRE-AMANDIERS
The Greatest Show on Earth – Nanterre – Amandiers – 30 septembre – 5 octobre 2016.
Sur papier, le projet a tout pour séduire : des chorégraphes et performers tels Meg Stuart, Antonia Baehr et Jeremy Wade sont invités à travailler avec de jeunes artistes dont certains sont présentés comme « les plus intéressants d’Europe » ! Anna Wagner et Eike Wittrock, les deux dramaturges et programmateurs à l’origine du projet sont par ailleurs très impliqués dans le champ théorique et universitaire, avec un intérêt marqué pour les formes chorégraphiques et performatives populaires, ainsi que pour des lectures alternatives de l’histoire de la danse, notamment en privilégiant des perspectives extra-occidentales.
Sur le plateau, la scénographie circulaire imaginée par Philippe Quesne, tout en jouant des codes du cirque et du théâtre anatomique, multiplie les circulations et les jeux de lumière et de fumée, pour renforcer une esthétique volontiers foraine.
Sur la piste tournante enfin, les numéros s’enchaînent sans pour autant tenir leur promesse fracassante. Sans non plus la trahir, avec panache ou dans une pirouette inspirée, à deux ou trois exceptions près. Et c’est bien là tout le problème de The Greatest Show on Earth ! Après une distribution générale de pop-corn qui accueille les spectateurs, un début de dramaturgie semblait pourtant s’affirmer dans la succession de cartes blanches.
Imaginé par Antonia Baehr et Valérie Castan, connues pour leur engagement sur la scène queer et pour leur pratiques artistiques qui démystifient les politiques de la représentation, le numéro d’Emmilou Rößling joue précisément sur la forme déceptive, convoque l’absence, donne la part belle à l’imaginaire, avec un humour minimaliste. Peut être qu’une bête féroce trône effectivement sur ce tabouret au centre de la piste circulaire, exposée impitoyablement aux regards et pourtant transformée en point aveugle. Nous nous surprenons même à y croire, quand la jeune performeuse accomplit la prouesse ultime de son numéro de dressage, en glissant sa tête dans la gueule béante de cette bête invisible ! Les prises musclées et les coups qui très vite résonnent sur les visages ou dans les cages thoraciques des membres de contact Gonzo – dans des scènes insupportables qui font pourtant font rigoler bien des spectateurs – nous ramènent à une réalité concrète, dure, au sens le plus littéral de la mise en jeu du corps. Le contraste fonctionne aussi avec le glissement dans le monde niaisement enchanté d’une Blanche Neige qui laisse s’installer l’ennui, fait durer le supplice et brouille les pistes avant de dévoiler son sulfureux secret. Hélas, la suite du programme nous réserve une escalade dans le spectaculaire, qui met tous les voyants au rouge. La performance, prise au premier degré, étale sa virtuosité et passe toujours en force, rarement sauvée par les touches d’un humour scabreux. Et la résistance rusée et têtue du chat Léo, dans le numéro de dressage domestique de Nicole Müller et de Katrin Schmidt, ne suffit pas à désamorcer cette course à la surenchère où l’engagement physique tourne péniblement à vide.
Dans ce contexte, l’entrée en piste de Jeremy Wade dans un accoutrement gonflable dont la forme mouvante laisse très peu de place au doute, pour donner voix à sa Complainte d’une crotte, est tout simplement jubilatoire !
Smaranda Olcèse
photos © Anja Beutler