BENOIT LACHAMBRE, « LIFEGUARD » : TOUCHEZ, CECI EST MON CORPS
Montréal, envoyé spécial
FESTIVAL TRANSAMERIQUES 11e édition – Montréal (CA) – « Lifeguard » – Benoit Lachambre.
Touchez : ceci est mon corps.
Si vous voulez vous payer un solo avec un artiste hors normes, vivre votre quart d’heure Warholien, précipitez vous dans la toute nouvelle salle de l’Edifice Wilder, presque fonctionnel, depuis le temps, où sont abrités dorénavant l’Agora de la Danse, le festival Tangente et beaucoup d’autres acteurs de la danse au Québec…
Après avoir beaucoup tenté de s’approcher du public, un pied sur la scène l’autre au bord du plateau, tentant de briser le fameux quatrième mur de la représentation, avec Lifeguard, Benoit Lachambre saute le pas en se mettant au milieu du public.
On entre débarrassé de ses sacs et manteaux, sans chaussure dans un studio de danse éclairé façon lumière du jour grâce à des sortes de te tiges en forme de L sur lesquelles sont posés des fils d’ampoules led qui donnent une lumière blanche et uniforme. Après ce cérémonial aussi symbolique que confortable, Benoit Lachambre lui-même, bonnet de laine vissé sur la tête, baskets aux pieds souhaite la bienvenue au premier groupe de spectateurs. Il dit ses centres d’intérêts, ses propres croyances dans le fait qu’il est persuadé que les corps dansant fonctionnent grâce à l’affect et à l’empathie. Il est persuadé que l’air qui l’entoure fait corps avec lui et est, autant que lui danseur, un acteur de cette chorégraphie. Il nous invite à mener avec lui cette expérience. On marche dans l’espace recouvert de dalles de caoutchou comme celles qu’on place dans les chambres des enfants pour que ce soit doux et les chocs amortis. Jambes arquées, posé sur l’arrête extérieure de ses pieds, Benoit Lachambre danse pour nous et avec nous. Il est au milieu de nous. Il semble comme nous mais est doté d’une prodigieuse force physique et surtout d’une sincérité qui emporte tout sur son passage. Entre gourou qui nous guide et nous défait de nos inhibitions et perfomer au fait se son geste, Lachambre offre sa danse comme preuve de sa démarche.
C’est inouï. C’est immense. C’est généreux. Cela fonctionne parfaitement car tout autre que lui serait ridicule, ferait se pouffer de rire les gens dont certains se mettraient sur le côté pour laisser passer la tornade. Là, pas du tout. Les trois groupes qui se sont rejoints dans la salle sont autour de lui. Il y a quelque chose de christique. Il y a quelque chose de l’ordre de la conversion. Pour Lachambre, le corps est énergie. L’espace entre nous est corps. Il le démontre par la preuve dans cette agora du public. Imparable. La performance prendra plusieurs formes, passera par plusieurs étapes et dès l’entrée du second groupe, une demi-heure plus tard, chaussé de ses écouteurs, pantalon court, il redit aux nouveaux son message. Il se relance dans l’opération séduction à travers une implication totale des spectateurs qui deviennent les chorégraphes du projet en apposant leurs mains sur lui. L’énergie, vous dit-on. Au troisième groupe, il révèle que lors d’une promenade à Paris, dans le Marais, il a vu un shorty moulant avec inscrit sur les fesses « lifeguarde » et une croix blanche posée au niveau de l’anus. Peut-on y voir la source du titre ? Benoit Lachambre en rit lui même surtout lorsqu’au détour d’un changement de costumes, il enfile son sweet shirt « life is a joke »… ce qui lui a permis de voir la vie autrement, de façon plus légère… ça se voit.
Premier duo de l’histoire de la danse avec un vrai balai aux longues franges préalablement aspirées, le tout accompagné du bruit de l’aspirateur repris par Lachambre lui-même comme une sorte de mantra d’où il puise encore quelques forces pour finir le spectacle. Benoit Lachambre prodigieux, en pâture, sans barrière, sans fard, brut tel qu’en lui-même. Une performance artistique mais humaine, une façon de rendre la danse compréhensible mais encore plus mystérieuse. Lifeguard ne protège de rien mais rend la vie plus joyeuse au moment même où, ensemble, le public par sa transmission énergétique, guide le danseur qui sort de là trempé de sueur mais content et tout autant adulé que s’il avait été dans ces habits de lumière sur la scène. Etrange.
Emmanuel Serafini
Photo Karolina Miernik