AVIGNON : « THE GREAT TAMER », IL N’Y A PAS QUE DES RUINES A ATHENES !

FESTIVAL D’AVIGNON : DIMITRIS PAPAIOANNOU – THE GREAT TAMER – les 19, 20, 21, 22, 24, 25, 26 juillet – LA FABRICA – Durée : 1h40

Il n’y a pas que des Ruines à Athènes !

La dernière fois qu’on avait croisé en France Dimitris Papaioannou, c’était l’année dernière, au Festival Montpellier Danse, où il présentait Still Life une fresque monumentale dont il a le secret avec ciels profonds – on n’est pas grec pour rien ! – force murs de plâtre traversés…

Il revient dans le sud de la France au Festival d’Avignon, précédé de sa réputation puisque la rumeur est à son comble et la salle est bondée, y compris de personnalités célèbres ; on guette donc son geste. Comme pour Fiesta d’Israël Galvan dans la Cour d’Honneur, les gens qui s’attendent à du folklore comme voir danser du Sirtaki seront déçus, ou s’il y en a, il est déconstruit, ralenti, traité comme une chaîne humaine plus qu’une danse.

La nouvelle pièce de Dimitris Papaioannou commence avec un personnage sur un sol qui, avec les éclairages, fait furieusement penser à de l’ardoise – qui s’avèrera être de simples planches de bois – posée à même le sol comme sur un toit de maison normande, avec des couches et des couches de planches, sédimentation d’un passé enfoui que les danseurs n’auront de cesse de rechercher en creusant.

Un homme à fine moustache, est debout, face public sur ce sol en pente. Il lace ces chaussures, regarde la salle. Les lumières font penser à des toiles de Edouard Hopper, ce gris pâle donne l’impression d’un monde de poussière comme après un incendie, comme après les attentats de New York. La pièce commence. Le danseur se déshabille lentement. Entièrement nu, il retourne une de ces planches. Il se couche sur cette tâche blanche au milieu de la scène. Un autre danseur vient le recouvrir d’un drap blanc. Linceul, c’est certain. Un autre vient le faire glisser par un coup de vent d’une autre planche posée à côté de lui. Apparition – disparition. Réalité – fiction. Ce sera les deux alternatives que proposera Dimitris Papaioannou dans cette nouvelle fresque où se bousculent des images sublimes et surréalistes comme toujours.

Dimitris Papaioannou veut nous parler « de nos racines », alors il les sort du sol. Il fait marcher son danseur sur les mains pour les brandir bien haut, face à nous, pour que nous nous en souvenions, pour que nous les voyons, pour que nous n’en ayons pas honte.

Comme chez Pina Bausch à laquelle on ne peut pas ne pas penser, les femmes sont graciles, en robe longue. Elles surgissent du lointain, portant sur la tête un pot de fleurs en terre cuite. Elles sont des amazones aux seins nus et aux jambes d’hommes, image saisissante de ce corps transformé, mutilé, reconstruit, la question du « genre » nous revient alors. Les femmes portent entre leurs mollets un corps d’homme nu.

Une valse de Strauss, ce Danube bleu revient en boucle, ralenti à l‘extrême. Il sature l’espace mental.

Le spectacle offre des fouilles dans ce sol fait de multiples strates. On en sort des objets, des corps, des Christ qu’on va choyer pour nous sentir moins coupables d’être passés à coté de notre sauveur sans broncher. On dresse les gens sur des échasses, on les laisse chavirer, porteurs de drapeaux blancs. On procède à des autopsies façon Renaissance avec force col blanc plissés, avec des instruments de tortures comme on en voit sur des tableaux d’écorchés. A ce moment, on pense à Berlinde de Bruckeyre et ses sculptures réalistes de corps décharnés dont elle reproduit la peau et sa couleur avec une véracité dérangeante.

Dimitris Papaioannou reprend ses topics comme cette table de banquet qui venait clore Still Life et qu’on retrouve ici pour une réunion anthropophage.

Il y a peu de danse dans cette pièce, mais quand elle surgit elle est aérienne, déliée, les articulations sont souples, le danseur porte son geste, les duos font penser à des pièces comme Libido Sciendi de Pascal Rambert, corps à corps nus d’un homme et d’une femme qui font une boule, un seul objet corporel et partent vers le bord de la scène comme des siamois.

Les images et les métaphores se succèdent dans une pièce qui recèle néanmoins quelques longueurs. La succession de souliers déchaussés, de ce corps nu dénudé, qui revient, de ce corps blanc éclopé qui surgit et dont on casse le plâtre comme une statue qu’on détruit, ce vaillant barbus qui porte le monde sur ses épaules tel Chapelin dans Les Temps Modernes montre l’éternel recommencement de l’Histoire dont les Hommes ne tirent aucun enseignement ; éternel recommence, en pire. La preuve cette métaphore (appuyée) de L’origine du monde version Orlan où le sexe de l’Homme a remplacé celui de la femme peint par Courbet à la fin du 19ème.

Insatiable faiseur d’images, immense artiste qui joue sans cesse des références, Dimitris Papaioannou, séduit avec The Great Tamer. Il prend même une nouvelle direction et poursuit son œuvre de magicien avec ces lancés de flèches de blés en or – mi antique mi moderne – toujours à la recherche de la beauté.

Un spectacle qui ne laisse pas indifférent au moment où glisse vers le sol la tête du squelette de cet enfant mort des persécutions – Hamlet et tout le Théâtre qui nous revient – comme quoi, la Passion, même de nos jours, est bien notre lot quotidien et par dessus tout notre indifférence laisse apparaître un monde dur, aux solidarités qui s’amenuisent ; notre besoin de consolation est bien impossible à rassasier.

Emmanuel Serafini

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