INTERVIEW : FLAMINIA GENNARI SANTORI, DIRECTRICE DU PALAIS BARBERINI, ROME
Posted by infernolaredaction on 9 juin 2018 · Laissez un commentaire
Rome, correspondance.
Première exposition d’art contemporain au Palais Barberini à Rome
Interview de la directrice du Musée National d’Art Antique Palais Barberini, Flaminia Gennari Santori.
par Raja El Fani
Comment réussir une exposition d’art contemporain dans un énorme palais baroque construit par Borromini et le Bernin ? Un pari difficile lancé par la brillante Flaminia Gennari Santori, nouvelle directrice du musée Barberini aujourd’hui partiellement rénové, qui invite le MAXXI, le musée national d’art contemporain, à concevoir un parcours expositif inédit « Echo et Narcisse ». Elle nous reçoit dans son bureau niché dans les étages du Palais d’où elle peut surveiller l’entrée principale du musée.Très au fait d’art contemporain, elle nous ferait presque oublier Bartolomeo Pietromarchi, l’autre curateur de l’exposition et directeur du MAXXI.
Inferno : Qui a voulu l’exposition « Echo et Narcisse » ? Le Ministre de la Culture sortant, Mr. Franceschini ?
Flaminia Gennari Santori : Non, l’idée est de moi, le ministère n’intervient pas dans la programmation du musée, il arrive que le Ministère fasse tout au plus des suggestions, mais nous sommes parfaitement autonomes.L’idée était d’inaugurer l’aile restructurée du musée avec ces grands espaces tout rénovés, j’ai voulu y exposer des œuvres qui permettent de traverser ces espaces, en faire expérimenter la beauté. Ça été le premier raisonnement qu’on a commencé à faire le printemps dernier. Ensuite, en automne 2017, on a exposé « Parade » le tableau que Picasso a commencé à concevoir à Rome en 1917. Bien que l’exposition Picasso était au musée des Ecuries du Quirinal, ce tableau énorme (11mx17m) ne pouvait être exposé que dans le salon Pietro da Cortona au Palais Barberini. C’est ce qui m’a amenée à penser que cette salle pouvait être conçue comme un espace expositif, bien que complexe. Le pari était de trouver des œuvres de très grande échelle qui soient de taille avec la monumentalité de la fresque de Pietro Da Cortona. Tant que l’œuvre n’est pas là, l’échelle est telle qu’on ne peut pas savoir à l’avance si ça va fonctionner ou pas. Et avec ça, il y a bien sûr tout un travail de reconception générale du musée avec ces nouveaux espaces. On a ensuite relevé les thèmes les plus récurrents dans les œuvres de notre collection et invité Pietromarchi, le directeur du musée d’art contemporain, le MAXXI, à venir voir notre collection. En concertation avec Pietromarchi, on a décidé de fonder le parcours de l’exposition sur un genre, le Portrait, et Pietromarchi a choisi, pour faire tenir ensemble des œuvres aussi disparates, le thème de Narcisse. Le montage de l’exposition a vite pris la forme d’une conversation entre l’art classique du musée Barberini et les œuvres d’art contemporain du MAXXI.
Les dépenses pour la restauration ont-elles été officialisées ? Quel est le budget de l’exposition ?
On évalue le coût de la restauration à quelques millions d’euro mais c’est difficilement calculable parce qu’il y a eu beaucoup de variations et les travaux ont été entièrement pris en charge par le Ministère de la Défense. Mais je ne trouve pas essentiel de rendre public ces informations. En ce qui concerne par contrel’exposition Echo et Narcisse, le budget est relativement limité étant donné qu’il s’agit pour la plupart d’œuvres de notre collection ou de la collection du MAXXI, les dépenses majeures ont concerné principalement la phase de montage de l’exposition tout en restant plus économique en moyenne des blockbusters, les expositions de la même importance.
Vous voulez dire que ce type d’exposition est avantageux ?
Dans notre bilan complexif, on a investi en tout 300.000 euros, accrochage, publicité, communication et catalogue inclus.
Vous avez pu compter aussi sur la collaboration de quelques privés, certaines œuvres contemporaines ne proviennent pas du musée MAXXI mais sont prêtées par des galeristes comme Gagosian.
Oui mais ils n’ont payé que le transport et l’assurance des œuvres prêtées. L’exposition ne s’appuie sur aucun sponsor, elle a été produite entièrement par le Musée Barberini.
C’est donc une exposition complètement publique ?
Tout à fait. Même la collaboration avec le MAXXI est curatoriale, pas financière. Je dirige le Barberini depuis deux ans et demi, en 2017 le budget de la programmation annuelle était très bas, 350.000 euro, pour un musée de cette carrure. En 2018 j’ai doublé le budget à 650.000 euro pour la programmation, c’est une somme qui commence à être intéressante bien qu’encore insuffisante. Ce qui reste important ce n’est pas le prix mais le sens des projets. L’exposition Echo et Narcisse nous a permis de dévoiler des aspects inédits de notre collection, des pièces extraordinaires et peu connues du public comme la Madeleine de Piero Di Cosimo, ou encore le Nu du peintre français Pierre Subleyras. Et le MAXXI aussi a pu sortir de ses dépôts des œuvres qui ne pouvaient pas être exposées au MAXXI à cause du manque d’espace comme par exemple Les 24 Heures, une grande installation de l’artiste Luigi Ontani, ou la grande table Large Dessert de Kiki Smith. Cette exposition a requis une dualité de priorités, ça a été une occasion pour les deux institutions de raisonner sur sa propre collection. Ma politique est de faire des expositions qui mettent en valeur la collection du musée Barberini.
Pas toujours, puisque par exemple dans la Salle du Trône vous privilégiez la projection sur grand écran de la vidéo de ShirinNeshat qui demande une obscurité totale et plonge dans le noir les grandes toiles de Romanello et Belloni ainsi que le grand lustre en verre.
Oui c’est un choix expositif, dans trois-quatre mois ces œuvres seront à nouveau éclairées.
En tant que directrice d’un musée d’art classique, que pensez-vous du système de l’art contemporain ?
Bonne question, difficile d’y répondre parce qu’il n’y a pas qu’un seul mais plusieurs systèmes de l’art, il y a le monde de l’art qui se rapproche beaucoup du marché, de l’industrie du luxe, ou à l’inverse celui qui se base sur la recherche, ou encore l’art contemporain qui tient plus du secondary market, etc.
Vous vous considérez comme faisant partie de l’Art System ?
Non, même si à certains moments de ma carrière j’en ai fait partie de loin, par exemple quand j’étais au Getty Institute ou à la Fondation Olivetti où je me suis occupée d’acquisitions dans un contexte qui n’était pas de la catégorie white box, les œuvres commissionnées devaient répondre à un contexte de historichouse, ou urbain, ou social, particulier.
Vous semblez avoir un bon rapport avec toutes ces différentes exigences du système.
Oui, je pense que ça devient facile dès lors que les projets sont sensés.
Lire «courtesy of Gagosian» au musée Barberini sur les cartels des grandes toiles signées Richard Serra, ça marque un changement.
La galerie Gagosian de Rome est à deux pas du musée Barberini, on se connaît depuis longtemps.
Il vaut peut-être mieux approfondir.
Je m’explique : personnellement, je ne suis pas particulièrement favorable aux contaminations, aux expositions d’art contemporain dans un musée ou un contexte d’art antique, à moins qu’il y ait une raison de le faire.
Alors pour quelles raisons êtes-vous arrivée à adopter ce format expositif ?
Parce que, comme je disais, l’espace qu’offre le musée Barberinipermet de voir dans toute sa magie une œuvre comme celle de Shirin Neshat, ou encore l’installation de Luigi Ontani oblige les spectateurs à se déplacer tout autour et permet à la fresque de Piero Da Cortona d’être amplement admirée. Ce qui, par ailleurs, m’intéresse spécialement c’est de pouvoir découvrir la collection du musée Barberini à travers de nouvelles catégories d’interprétation, à travers une perspective non-chronologique et non plus purement historique.
La Galerie Nationale d’Art Moderne de Rome avait inauguré cette tendance en 2016.
Vous trouvez nos expositions similaires ?
Non, mais dans le contexte italien, la Galerie Nationale de Rome a été le premier musée national à expérimenter ce format expositif entre art classique et contemporain.
Pas vraiment, la Fondation Querini-Stampalia à Venise le fait depuis vingt ans durant la Biennale, à Rome le musée Andersen aussi l’a fait il y a dix ans, la Galerie Borghèse aussi. Ça ne marche pas toujours, tout dépend de la pertinence des expositions.
Etes-vous critique vis-à-vis de l’exposition « Time is out of Joint » de la Galerie Nationale de Rome ?
Non pas du tout, ce que je veux dire c’est qu’on se souvient de l’importance des expositions, celle de la GN de Rome a marqué les esprits parce que c’était une exposition pertinente vis-à-vis de sa propre collection. Comme Echo et Narcisse est adaptée seulement à notre collection. Chacun de ces projets expositifs n’est pas séparable des collections respectives de nos musées.
Ce sont donc des expositions inexportables ? Ça pourrait êtreperçu comme un problème.
Oui « Echo et Narcisse » est une exposition absolument inexportable, c’est l’inexportabilité même !
Que pensez-vous de l’exportabilité comme critère de réussite d’une exposition ?
Ce critère ne vaut pas pour toutes les expositions. L’installation de Luigi Ontani peut être vue de mille autres manières, mais ici avec Piero Da Cortona le public la verra de manière inédite.
Le contexte historique offre donc une occasion unique aux œuvres d’art contemporain. Mais ce que vous avancez révèle un paradoxe: que le Maxxi ne puisse pas exposer ces grandes acquisitions, n’est-ce pas un peu une défaillance pour un musée d’art contemporain qui a été construit exprès pour accueillir des œuvres contemporaines ?
Un musée repose aussi sur les œuvres en dépôt, c’est ce qui permet de redécouvrir les collections. Le MAXXI [conçu par ZahaHadid] est un espace complexe, ce qui ne doit pas limiter ces dirigeants qui ont comme mission de continuer de faire des acquisitions. Qui sait, dans cinquante ans le MAXXI sera peut-être amplifié et aura des espaces différents.
Le Musée Barberini a offert au MAXXI l’occasion d’organiser sa première exposition off, en dehors du MAXXI à Rome.
Le MAXXI organise beaucoup d’expositions à l’étranger etpromeut l’art italien à l’étranger. Mais en dehors des institutions avec lesquelles le MAXXI collabore habituellement ici, à Rome, cette collaboration antique-contemporain est une première effectivement.
L’exposition « Echo et Narcisse » a été présentée dans la Salle des Marbres où les énormes toiles de Yan Pei Ming (acquises par le ministère de la culture en 2005 et destinées à la collection du MAXXI) dominaient l’espace. Est-ce un clin d’œil du directeur artistique du MAXXI, le chinois Hou Hanru ?
Non, la conférence de presse a été organisée dans cette salle pour une question d’espace. Les portraits de Yan Pei Ming qui représentent le Pape Jean-Paul II et Mao ont un impact certain et c’était le but. Ils surplombent le buste du Pape Urbain VIII, qui a construit le Palais Barberini, sculpté par le Bernin.
Une exposition fondée sur les associations et les juxtapositions entre art classique et contemporain pourrait vous avoir conduits, en tant que curateurs, à privilégier l’art figuratif.
Non, il suffit de voir l’œuvre de Monica Bonvicini [Bent and fused] pour comprendre que le dialogue classique-contemporainen réalité part de principes conceptuels, ainsi que les deux portraits abstraits [Butor et Melville] de Richard Serra.
Oui mais leurs œuvres sont isolées dans le parcours, Serra et Bonvicini figurent l’un et l’autre dans des salles séparées des œuvres classiques. N’est-ce pas parce que justement ce sont les seules œuvres abstraites de l’exposition?
Il ne faut pas chercher les juxtapositions immédiates. La salle de Serra est juste après la salle des portraits signés Holbein et Bronzino, on a choisi de ne pas les mettre ensemble parce que ça n’avait pas de sens, ici le dialogue classique-contemporain est appréciable autrement, dans la succession des salles. Ailleurs, on a également choisi d’isoler la Fornarina de Raffaello, ç’aurait été complètement insensé de mettre une œuvre contemporaine à côté de la Fornarina! On a pris des risques dans d’autres salles. Mais ce qu’il faut retenir ici c’est que la Fornarina est au XVI° siècle une même réflexion sur la représentation du pouvoir qu’au XXI°siècle l’installation de néons de Monica Bonvicini qui travaille sur l’empowerment.
Avec tout de même une belle différence: la valeur culturelle d’un artiste comme Bernini, de son vivant, ne reposait pas sur le prestige du passé.
Ça n’est absolument pas systématique. Toute juxtaposition d’une œuvre contemporaine dans un contexte historique doit être le fruit d’une évaluation. Ça n’est d’ailleurs pas un hasard si on a choisi pour cette exposition uniquement des artistes de gros calibre, de générations différentes. La valorisation de l’art contemporain dans un contexte historique n’est pas le seul enjeu de notre exposition.
Propos recueillis à Rome par Raja El Fani
juin 2018
images
1) Présentation de l’exposition Écho et Narcisse, toiles de Yan Pei Ming et sculpture du Bernin
2) Flaminia Gennari Santori, directrice du Musée Barberini
3) Installation de Luigi Ontani dans le Salon Pietro Da Cortona
4) Vidéo de Shririn Neshat dans la Salle du Trône
Photos R. El Fani
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