TRIBUNE : LA TENTATIVE CINEMATOGRAPHIQUE DE « L’ART CONTEMPORAIN » (2)

TRIBUNE : La tentation cinématographique de « l’art contemporain »(2)
par Yann Ricordel

Dans une tribune de 2014 intitulée « La tentation cinématographique de « l’art contemporain » », je posais les bases d’une réflexion sur la manière dont l’art contemporain tendait non seulement à intégrer des éléments symboliques de l’industrie cinématographique, mais plus encore à en faire un modèle de production. Des faits d’actualités plus ou moins récents, tel que la sortie du film Occidental de Neil Beloufa, de celui de Charles de Meaux Le portrait interdit en 2017, le thème des rencontres Paris/Berlin dénièrement à Paris et bientôt à Berlin (« Nouveau cinéma et art contemporain ») ou encore la création d’un festival de cinéma en école d’art à l’Ecole Supérieure d’Arts et Médias à Caen, qui s’est déroulé le mois dernier, m’amène à vouloir prolonger cette tribune.

J’ai évoqué dernièrement et à plusieurs reprises l’ouvrage de Le narcissisme de l’art contemporain, dans lequel les auteurs pointent, à raison à mon avis, le phénomène par lequel un « art contemporain » s’originant dans les formes classiques de la peinture et de la sculpture, même s’il s’est agit de les subvertir, n’était jamais parvenu à devenir vraiment populaire. Le rapprochement qui a commencé à s’opérer entre cinéma et art contemporain, qu’on peut situer dans les années 90 avec la création d’Anna Sanders Films, tend de plus en plus à une intégration qui réaliserait une sorte de vœu secret qui serait de sortir d’une sorte de ghetto aristocratique en investissant un médium qui est celui, commel’a formulé Fredric Jameson, de l’ « esthétique de la mondialisation ». Dans le même temps, et c’est bien le sens de la création d’un « festival » à Caen, cette esthétique est l’occasion de créer des évènements de réception collective à l’échelle locale à une époque où la réception du matériel audiovisuel se fait de plus en plus individuellement et dans la sphère privée. Une sorte d’accomplissement de ce Nicolas Bourriaud à autrefois nommé « esthétique relationnelle », en somme…

Si, pour peu qu’on ait suivi ces dernières années ce qui se faisait dans une école comme Le Fresnoy, comme ça a été mon cas, on constate déjà une certaine homogénéisation stylistique dans les productions au sein ce que François Bovier à qualifié de « style international » sur le modèle de l’architecture1, qu’on peut encore qualifier de « style mondialisé », on ne peut que souhaiter que ce mouvement de réinvestissment renouvelle une industrie passablement enkystée artistiquement et institutionnellement. Constatonscependant qu’il aura fallu passer par des décennies de cinéma expérimental d’une radicalité parfois rebutante, de signal vidéo traité de toutes les manières possibles, d’installation multi-écraniques toutes plus improbables les unes que les autres pour revenir à une forme au moins aussi ancienne que la fameuse caverne platonicienne : la projection frontale, si ce n’est théâtrale. Et non pas pour se livrer seulement à de nouveaux jeux formels (bien que l’attention à la forme ne soit pas ici, bien entendu, disqualifiée), mais pour raconter de bonne vieilles histoires, actant ainsi un « retour de la fiction » que Christian Zimmer a très justement analysé dès 19842, signant la fin d’ une période de « cinéma militant » qui, comme la société dans son ensemble, analysait ou « déconstruisait » les conditions d’une existence encore possible.

On peut tout à ait se réjouir de tout cela si on aime le cinéma. On peut aussi réécouter la voix de Guy Debord dans « Critique de la séparation » (1961), prononçant ces mots d’une voix lasse et légèrement mélancolique :

« Le spectacle cinématographique a ses règles qui permettent d’aboutir à des produits satisfaisants. Cependant, la réalité dont il faut partir, c’est l’insatisfaction. La fonction du cinéma est de présenter ne fausse cohérence isolée, dramatique ou documentaire, comme remplacement d’une communication et d’une activité absentes. Pour démystifier le cinéma documentaire, il faut dissoudre ce que l’on appelle son sujet. »

Yann Ricordel

1- François Bovier, « Des stratégies artistiques du réemploi à l’outil de production Anna Sanders Films », Décadrages [En ligne], 13 | 2008, mis en ligne le 10 octobre 2009, http://decadrages.revues.org/509 ; DOI : 10.4000/decadrages.509

2- Christian Zimmer, « Le retour de la fiction », Paris, Editions du Cerf, coll. Septième Art, 1984. Je conseille également son ouvrage précédent, qui est une sorte d’interprétation de « La société du spectacle » de Guy Debord appliqué au champ du cinéma industriel : « Procès du spectacle », Paris, Presses Universitaires de France, Coll. Perspectives critiques, 1977.

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