FESTIVAL D’AVIGNON : MOLINA / WALTZ : L’UNE UTILE, L’AUTRE PAS

72e FESTIVAL D’AVIGNON : Rocio Molina « Grito Pelao » – St Joseph, du 6 au 10 juillet à 22h / Sasha Waltz « Kreatur » – Opéra confluence, du 7 au 14 juillet à 18h. Vus le 6 juillet 2018.

Molina/Waltz : l’une utile l’autre pas

Ce n’est pas tout à fait dans les codes de la presse que de parler de soi pour rendre compte d’un spectacle, mais il faut tout de même évoquer cette sensation étrange qui vous fait passer dans la même journée de l’abattement à la joie.

Première phase,  Kreatur de la chorégraphe Allemande Sasha Waltz avec la présentation d’une pièce créée à Berlin en 2017 et qui revient ici sans s’être bonifiée, contrairement à un bon vin… de là à dire que c’est de la piquette, non, mais on se demande bien où la chorégraphe veut en venir avec cette pièce qui débute dans la lenteur et des chrysalides de tulle pour se finir en orgie sur un air de Gainsbourg tout en étant passée par des déclarations géopolitiques tellement niaises qu’on se demande si de le dire en français sauve le message quelque peu simpliste de la chorégraphe.

Tous les danseurs sont exceptionnels, là n’est pas la question mais selon la formule célèbre « qu’allaient-ils donc faire dans cette galère » ?

On nous dit que le groupe Soundwalk Collective est allé enregistrer moult sons dans les usines et lieu désaffectés. Bien. Mais ça ne fait pas ni un propos ni une danse qui est ici très formelle, convenue, académique là où Sasha Waltz a été, de sa génération, celle sur laquelle on a fondé l’espoir du renouveau de la danse en Allemagne notamment… Seul persiste un topic déjà utilisé dans Körper avec cet amas de corps presque nus, enchevêtrés les uns avec les autres et qui revient ici sur cet escalier où les danseurs finissent par monter… Je ne poserais pas la question de son utilité en tant qu’objet dans le décor, en dehors de préparer cette image qui aurait dû être le centre névralgique de la pièce mais qui reste une image.

On prend espoir lorsque surgit cet amas de pics noirs, sorte d’oursin bondissant, mais il ne se passe rien. La danseuse s’en défait et laisse la combinaison là, sur scène, comme un objet de décoration en prenant bien soin que cela ne tombe pas… utile ?

Le désespoir ne nous quitte pas plus lorsque un petit quatrain en ic nous est asséné avec cette naïveté qui finit par « la vie est fantastique, alors pourquoi tu te la complique » ! Oui, pourquoi ? Sans compter que, dans le même poème digne d’un enfant de quatre ans, Sasha Waltz prône la chute des frontières géographiques… C’est consternant. Laborieux. Les ensembles sont exécutés avec précisions par les danseurs habillés de ces costumes transparent où qui se glisse dans ces feuilles réfléchissantes qui pourrait apporté de l’étrangeté à un propos convenu mais même ça elle n’en fait rien en dehors de finir sur cette image, sorte de palais des glaces pour une danseuse…

Heureusement – deuxième phase, dans la cour du Lycée St-Jospeh arrive dans un décor immaculé fait de sable et où trône comme dans Thyeste un large bassin, la danseuse et chorégraphe Rocio Molina entre avec sa mère, Sylvia sa sœur et les musiciens.

Que s’est-il donc passé depuis qu’on a croisé la danseuse avec la chanteuse La Trémendita (Rosario Guerrero) dans le très noir Afectos, présenté dans le festival Les Nuits Flamencas d’Avignon : et bien Rocio Molina est enceinte ! Elle a décidé de faire un enfant seule par le biais une insémination artificielle… Et le changement est radical. La danseuse est souriante, joue pleine, poitrine oppulente, bassin coincé pour danser son « taranto »… Et on se dit que la différence entre les deux pièces vuse dans la journée, c’est que l’une semble essentielle, vitale, porte une sincérité et l’autre n’apporte rien, ne semble même pas utile à Sasha Waltz dont le talent n’est pas en doute mais dont cette Kreatur tourne dans le vide, en rond alors que Grito Pelao porte une véritable nécessité et même si parfois quelques longueurs ou complaisances pèsent sur le spectacle, la tension, la sincérité, le duo entre Rocio Molina et sa mère, les chants de Sylvia Perez Cruz sont tellement généreux que la communion avec le public est réelle. Et lorsque cette Odalysque digne d’une peinture d’Ingres ou d’autres orientalistes plonge dans le bassin central, l’image est aussi forte que belle. En sortant Rocio Molina enfile une culotte lamée verte en s’adressant du regard au public à la manière de sa compatriote Angelica Liddell et on se dit que l’insolence et l’humour vital de Rocio Molina ne sont pas près de la quitter avec ou sans enfant.

Emmanuel Serafini

Images: 1 & 2 : Rocio Molina « Grito Pelao », Photos C. Raynaud De Lage, DR / 3 & 4 : Sasha Waltz, Photos Audrey Scotto – copyright INFERNO 2018

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