« DE DINGEN DIE VOORBIJGAAN », LA MÉCANIQUE GLAÇIALE D’IVO VAN HOVE

72e FESTIVAL D’AVIGNON. « Les choses qui passent (De dingen die voorbijgaan) » – D’après Louis Couperus – Mise en scène : Ivo van Hove – Festival d’Avignon 2018 – Les 14, 15, 17, 18, 19, 20, 21 juillet dans la Cour du lycée Saint-Joseph à 22h00 – Durée : 2h10. 

Véritable star du théâtre européen, le directeur du Toneelgroep d’Amsterdam Ivo van Hove revient cette année au Festival d’Avignon avec une mise en scène du poète et écrivain néerlandais Louis Couperus (1863-1923). Ce qui saisit au premier abord dès l’entrée dans la cour du Lycée Saint-Joseph, c’est ce grand plateau nu avec de chaque côté une rangée de chaises alignées, en fond de scène un immense miroir donnant l’impression étrange de se trouver sur scène, et, sur les côtés, de grandes vitres sur lesquelles apparaissent d’immenses visages abstraits peints en blanc. Tout le monde comprend alors que le metteur en scène réserve ce soir-là pour Avignon une mise en scène épurée et glaciale.

Malgré un texte et une intrigue simpliste de Louis Couperus, force est de constater qu’Ivo van Hove parvient à transcender ce maigre fil conducteur et à nous livrer, grâce aussi à sa magnifique troupe de comédiens, cette vision sombre à la Chabrol d’une bourgeoisie en pleine déliquescence. Au centre du psychodrame, une vieille dame et son amant, régnant sur leur monde et taisant un secret de plus de 60 ans qui entache de sa noirceur le reste de la famille. De la fille nympho cougar au petits-fils détraqué de la vie, comme Lot qui épouse Elly et qui malgré son amour pour elle ne parvient pas à l’aimer entièrement. Ce coupe qui même le jour de leur mariage doit s’accommoder de ce demi-amour cabossé tant Lot est hanté par le poids du secret familial. Chacun est retenu par un fil à ce terrible secret, cette horreur commise par Ottilie, vieille dame âgée régnant au centre du plateau sur cette famille en décomposition et qui revoit par intermittence un fantôme du passé, celui de son mari, assassiné 60 ans plus tôt par elle et son amant. Mais l’important ici n’est pas cette trame, l’important c’est la façon dont Ivo van Hove parvient à faire un crime de plus de 60 ans une trace indélébile au sein d’une famille où tous sont reliés par ce drame qui inlassablement les rapproche ou les éloigne quand la tension devient trop forte.

La scénographie, d’une noirceur élégante, permet d’assister à un véritable ballet d’ensemble où tout s’enchaîne avec virtuosité. Chaque brique de la pièce a son utilité et le metteur en scène sous-tend l’ensemble par un bruitage fait sur scène par Harry de Wit et par la matérialisation du temps qui passe et qui prend fin, dans un soulagement général, par la délivrance de la mort. La grande force d’Ivo van Hove réside ici dans sa faculté à s’attacher plus aux effets sur l’Homme d’une tragédie somme toute assez basique qu’à la tragédie elle-même qui ne pèse pas très lourd. Peu de ressort sur scène, tout se passe dans le silence, le secret est dans le rythme du métronome du temps qui passe. La noirceur de l’assassinat n’est rien comparée à la noirceur des âmes. Mais à trop décortiquer, presque à disséquer les âmes, Ivo van Hove livre un plat somme toute assez froid et peu épicé. Même si l’image de papier glacé renvoyée par ce spectacle est bien belle, elle manque quand même de quelques aspérités. La machine van Hove semble pourtant bien huilée, trop peut-être ?

Pierre Salles

Photos Christophe Raynaud de Lage

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