AU FRAC IDF, « DE L’IMMERSION A L’OSMOSE » : REPENSER LE MONDE

« De l’immersion à l’osmose, Chaosmose #2 » – Frac île-de-France, parc culturel de Rentilly – Jusqu’au 21 juillet 2019.

Le site du Frac île-de-France, installé au parc culturel de Rentilly a la particularité d’être ouvert sur l’extérieur et d’inciter à prendre le temps de parcourir le grand parc à la découverte d’arbres remarquables. Il construit régulièrement une programmation d’expositions en partenariat avec d’autres structures institutionnelles. Cette exposition est le fruit d’une collaboration avec l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne. Elle a pour point de départ les réflexions et les expériences d’artistes, de chercheurs et de scientifiques de divers horizons, engagés dans le laboratoire espace cerveau. Celles-ci s’inscrivent dans un courant d’études et de pensées lié au bouleversement de l’ère anthropocène.

Nathalie Ergino, la directrice de ce centre d’art, développe des projets à partir de ces recherches. « Les nouvelles perspectives apportées par les chercheurs réinvestissent ainsi les liens qui nous unissent à la Terre, retissent les fils entre matière et vie, et inscrivent l’humain dans l’ordre du cosmos. Aux expériences de “perception élargie” suivent celles, plus intenses encore, d’une fusion vitale avec les éléments et une aspiration à ne faire qu’un avec l’univers. »[1] explique-t-elle.

À l’automne 2018, elle y développait la notion d’un monde cosmomorphe, où il n’y aurait pas de séparation avec la nature. Elle utilise le terme de « chaosmose »[2] pour considérer le monde en son entier, pour la multiplicité et diversité des êtres et ouvrir vers une vision non plus anthropocentrée du monde mais cosmomorphe. Il s’agit aussi pour elle d’explorer au sein de ce laboratoire différentes disciplines telles que les neurosciences, physique et astrophysique, nanosciences, objets mathématiques et topologie, nouvelles technologies, parapsychologie, hypnose et télépathie, chamanisme et animisme, ou encore espaces de la non-vision. Nathalie Ergino pense que les découvertes actuelles amènent « une redéfinition des limites entre corps, espace, temps et cerveau et à une expérience “étendue” de l’environnement, entre infiniment grand et infiniment petit »[3]. En cet espace d’exposition, sa réflexion trouve une place subtile pour aborder ces sujets et faire émerger des liens entre les œuvres.

Sa composition en deux étages distincts l’a incitée à aménager deux étapes pour envisager autrement ce monde en transformation.

Au premier niveau, les œuvres proposent des expériences perceptuelles et sensorielles, des moments de concentration. Par nos sens, nous pouvons appréhender notre environnement et saisir le monde naturel. Nathalie Ergino a en effet cherché à rendre compréhensibles les recherches du laboratoire. Différents sens sont activés pour un déplacement du ressenti de notre corps vers une sensation d’immersion dans la nature. L’œuvre Le cabinet en croissance d’Ann Veronica Janssens nous invite à perdre nos repères spatiaux. Elle nous convie à oser prendre le temps d’éprouver la puissance de la lumière colorée. En sortant de cette cabine, nous pouvons apprécier les vidéos Présage d’Hicham Berrada montrant des univers fluides aux multiples couleurs. D’expériences chimiques, l’artiste crée un paysage où naît une vie artificielle. Puis, nous sommes incités à rentrer dans une salle à l’atmosphère blanche où d’étranges arbres, sculptures de Berdaguer & Péjus nous conduisent à une introspection et à une sensation d’étrangeté.

Au fond de la salle, comme un moment de pause, le film de Bojan Šarčević présente des compositions géométriques, des architectures, des plans qui s’éclatent. Son œuvre bouscule notre appréhension de l’espace. En clôture de ce premier parcours à la redécouverte de nouvelles manières de vivre l’espace, la vidéo Voyage au centre / Green Paper Gate / Le mutivers de Michel Blazy nous plonge ensuite face à des sculptures vivantes, où l’animal prend place. L’artiste nous dévoile un écosystème, un univers fascinant où vacille documentaire sur un monde souterrain et science-fiction.

Au second niveau, les œuvres nous invitent à réfléchir et à repenser les limites entre l’humain et le non humain. Certaines occupent un bel espace qui convoque un territoire ou un phénomène naturel. On est incité à se mesurer à elles ou à nous imaginer dans des espaces d’une grande puissance. Daniel Steegmann Mangrané explore et étudie la forêt amazonienne. Son film Spiral Forest (Kingdom of All the Animals And All the Beasts Is My Name) nous propose de pénétrer visuellement dans un milieu à la végétation foisonnante, luxuriante, où se perdre.

Certaines œuvres convoquent notamment la croissance et le développement d’un phénomène, de l’infiniment petit à l’infiniment grand. Linda Sanchez témoigne avec son dessin de la trajectoire d’une goutte d’eau tandis que Crin de Nicolas Momein sollicite notre curiosité envers le matériau dont est constitué un volume compact, tel un podium qui aurait vécu.

Le grand dessin mural Propagazione de Giuseppe Penone témoigne d’un souffle vital. Des empreintes digitales de l’artiste, des lignes se propagent, se diffusent sur l’étendue du mur. Cette œuvre renvoie aussi bien aux lignes de croissance d’un arbre, aux empreintes humaines et qu’à des ondes de l’eau. D’où l »émergence d’une osmose entre les éléments du cosmos. À ses côtés, comme poursuivant ce flux d’énergie, l’installation Chanson florale de Maria Teresa Alvez est composée d’arbustes originaires de méditerranée et d’un dispositif sonore à partir duquel nous découvrons le nom des plantes. Chacune est reliée à son propre territoire, symbole d’un pays ou d’une région alors qu’elles furent introduites par des pays colonialistes. L’artiste interroge ainsi les thèmes de l’identité nationale et de la migration.

En revenant sur nos pas, des liens se tissent entre sculptures, photographies, installations et dessins. Différents rapports du spectateur à l’œuvre sont proposés. Une vidéo d’Ana Mendieta montre une fusion de son corps avec la nature. Cette œuvre de cette artiste majeur ancre l’exposition dans une continuité de courants artistiques qui engagent un retour à la terre et à des expériences de contact avec les éléments naturels.

Les Désublimations, entre photographie et dessin, de Dove Allouche dévoilent l’impalpable et engagent le spectateur dans sa finesse du regard. En vis-à-vis, les images de série de photographies les Olgas de Sigmar Polke montrent des paysages du massif montagneux de Kata Tjuta, site sacré des aborigènes en Australie) dont leurs formes font écho à des corps humains. Ces photographies, par leurs couleurs et matières, rejoignent le caractère pictural du travail de l’artiste.

Notre regard est ensuite ramené au sol avec l’installation de Dane Mitchell, Aeoromancy (Sketches of Meteorological Phenomena). Constituée de pièces en verre soufflé, elle suggère le phénomène physique de la foudre. Face à elle, le spectateur peut se laisser porter par une sensation de chute, de basculement, de faille…

Ainsi, Cette exposition propose de nouvelles manières de comprendre et de percevoir notre monde, où humain et non-humain se rejoignent. Elle est le reflet d’une collection et d’une prospection. Les artistes révèlent l’invisible et leurs œuvres ouvrent notre regard vers une reconnexion à la terre. Elles ouvrent vers un ailleurs lointain et nous conduisent à repenser notre place aux côtés de tous les êtres vivants.

Tout au long de l’exposition, une programmation de rencontres et d’événements ouvriront vers des champs d’approches encore plus vastes.

Pauline Lisowski

[1] http://www.laboratoireespacecerveau.eu/index.php?id=682

[2] En résonance au chaosmos de James Joyce (mot-valise créé par Joyce dans Finnegans Wake, 1939) et par extension à la chaosmose de Felix Guattari (1992), et à Cosmogonies au gré des éléments sous le commissariat d’Hélène Guenin, MAMAC Nice, 2018

[3] http://www.laboratoireespacecerveau.eu/index.php?id=682

Images: 1&2 : Hicham Berrada Présage – 3 : Giuseppe Penone – 4 : vue de l’exposition – Copyright les artistes

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