« LA VIE DE GALILÉE » : RÉTRACTÉ MAIS VIVANT

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La Vie de Galilée – de Bertolt Brecht – Mise en Scène Claudia Stavisky – Avec Philippe Torreton – La Scala, Paris – du 12 septembre au 9 octobre 2019, puis en tournée.

Rétracté mais vivant.

Après Giorgio Strehler, Antoine Vitez, Jacques Lassalle, Jean-François Sivadier, voici que Claudia Stavisky s’attaque à La vie de Galilée de Brecht… Assez rare d’ailleurs qu’une femme monte ce texte, sorte de biopic du mathématicien resté aussi célèbre pour ses découvertes que le reniement de celles-ci…

Sans divulgâcher le spectacle aux lecteurs, l’image la plus forte, celle qui le caractérise et qui donne les clés du projet poursuivit par Claudia Stavisky est cette ombre chinoise du personnage du pape, de dos, en mitre, face à une banquise qui s’écroule… On comprend alors que la metteuse en scène n’a pas cherché à tirer le spectacle vers une quelconque reconstitution historique avec jolie place de Florence et trompe-l’œil de Rome mais en laissant cet aspect de côté dire et redire toute l’actualité de ce texte de Brecht… Et comment ne pas faire de parallèles entre les climato-septiques et ces prélats qui, pour conserver leur pouvoir, s’abritant derrière la foi, nient sans vergogne une vérité dont il faudrait juste qu’ils prennent la peine de la constater à travers le télescope que leur tend Galilée.

Dans un décor austère, digne du palais de Ceausescu à Bucarest, fait de hauts murs sombres et de meurtrières qui laissent à peine passer la lumière, Philippe Torreton est – ni plus, ni moins – Galilée…

A aucun moment, le comédien ne fait « l’acteur ». Il est en scène lorsque le public entre et dès lors qu’il lève sa tête de la bassine d’eau qui se trouve devant lui, il porte à son terme une incroyable saga, qui va se dérouler sous nos yeux, nous donnant à voir Galilée de 46 ans à sa mort en 1642, prisonnier de l’église qui le tient sous bonne garde pour qu’il ne remette pas en cause de fondements sur lesquels tant d’intérêts sont fixés…

Autour de lui des personnages, truculents, hauts en couleur, d’une mauvaise fois certaine que Claudia Stavisky se plaît à montrer dans toute leur lâcheté avec une mention particulière au clergé qu’elle sait parfaitement présenter dans leur médiocrité.

Dans une mise en scène haletante, un peu sur le principe des séries télévisées dont on sent que la metteuse en scène est friande, Claudia Stavisky nous permet d’être captivés par cette histoire qui ne nous laisse pas en paix… et nous de constater, lignes après lignes, que déjà, au 17ème siècle, des choix politiques influaient sur notre avenir en dépit du bon sens.

Par son intemporalité, l’absence de signes d’une époque, la mise en scène nous plonge aussi dans la période où la pièce a été écrite et la référence à l’année 33 est, de ce point de vue, le centre névralgique du spectacle. Les petites incises, légères et parsemées, de la période allemande, mais aussi des dictatures – en tant qu’argentine, on imagine que Claudia Stavisky sait de quoi elle parle – avec cette Stasi de l’inquisition, cette façon de nous faire comprendre, comme Ismaël Kadaré ou Kafka dans leurs plus célèbres textes, le poids de la surveillance active des uns par les autres, tout ceci permet de déceler que le projet qu’on nous propose est bien plus politique qu’historique…

La distribution est éblouissante et si Philippe Torreton est au-delà des mots qui peuvent caractériser un comédien tellement il apporte, sans en faire trop, une dimension nouvelle à ce personnage en en faisant un être bien plus roué que ce qu’il n’y paraît – et comme le dit Andréa Sarti, son ancien élève qui l’a renié mais qui le sauvera pour la postérité : « même en matière d’éthique, Galilée est en avance sur son temps », préférant avoir les mains « sales que vides » et sans doute faisant sienne une idée qui lui a permis de passer à la postérité : rétracté mais VIVANT et c’est cela qui compte quelque part pour Galilée.

Autour de ce comédien hors normes, généreux jusque dans son empathie avec cet homme complexe, évolue une troupe de comédiens qui se plaît à jouer tant et plus de personnages, permettant au spectacle de garder un rythme certain, même si Brecht est un auteur démonstratif, qui va dans le détail et cherche toujours à démontrer la pertinence de son opinion…

Peu de dames autour du grand homme, sa fille Virginia jouée ici par la propre fille de Torreton, Marie, touchante et vraie dans son approche d’une fille délaissée pour cause de père encombrant et la servante de Galilée, Madame Sarti, jouée par Nanou Garcia qui est parfaite dans le rôle terre à terre d’une fille du peuple qui craint pour le salut de son âme mais reste pour faire la cuisine en temps de peste !

Du côté des hommes, difficile de citer tout le monde mais Fréderic Borie apporte toute sa fougue à ses personnages, Michel Hermon, qui se faisait rare, est un inquisiteur inquiétant comme devait être le vrai ! Guy-Pierre Couleau est un doge hilarant et un cardinal ridicule comme devaient être les vrais à l’époque où la foi l’emportait sur la vérité ! Une kyrielle de jeunes gens tous à leur affaire, tantôt chercheurs, tantôt curés qui permettent de voir toute leur richesse de comédiens…

Pour accompagner ce décor imposant et les costumes sobres et censés de Lili Kendaka, les lumières sèches et froides de Franck Thévenon auxquelles s’ajoutent les images justes et fortes de Michaël Dusautoy accompagnent les choix musicaux que Jean-Louis Imbert glisse délicatement, autant de portes qui claquent que bruits de foule qui inquiètent sans distraire…

Une belle aventure en tous les cas à voir à La Scala de Paris avant une tournée en France et aux Célestins de Lyon dirigés justement par Claudia Stavisky : préparez-vous donc à aller voir ce spectacle qui risque de faire date.

Etienne Spaé

En tournée :
La Criée, Marseille – Du mar. 05/11/19 au jeu. 07/11/19
Châteauroux, L’équinoxe – Du mar. 05/11/19 au mar. 12/11/19
Lyon, Théâtre des Célestins – Du ven. 15/11/19 au dim. 01/12/19

Photo Simon Gosselin

 

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