LYON : NUITS DE FOURVIERE ET BIENNALE DE LA DANSE ENFIN DECONFINEES
FESTIVALS A LYON – Les nuits de Fourvière & La Biennale de danse de Lyon
Hasard du calendrier post confinement, voici que deux des manifestations culturelles majeures de Lyon se déroulaient en même temps ! La Biennale de danse d’une part et Nuits de Fourvières d’autre part – dont le directeur a rappelé que ce Festival, créé tout de suite après la guerre par Édouard Herriot, fête ses 75 ans, tout de même !
Fallait-il être deux Dominique(s ) (Hervieux et Delorme) pour inviter Camille dans une mise en scène – qu’on cherche encore ! – de Robin Orlyn, sans doute pas… Circonstances atténuantes, la chorale de chanteurs sud-africains qui devaient accompagner le spectacle, est restée dans son pays pour de questions sanitaires. Ils apparaissent deux fois dans le spectacle mais cela ne suffira pas à le faire décoller… Seule réussite l’invocation de l’eau ; le lendemain, il pleuvait à Lyon, mais pas assez pour interdire la seconde représentation d’un spectacle un peu simpliste, fait de chansonnettes sur l’eau, dans un amas de tissus formant une robe et une mer… Le grand écran et la caméra au bord du visage de Camille ne suffiront pas à faire évoluer ce concert. Elle n’est pas assez dirigée, elle minaude trop et finalement se perd, perd le fil… ce qui pour Camille est un peu fort ! Les petites blagues qui ponctuent le récital- monologue sont vraiment à l’image du spectacle… même la météo marine ne réjouis pas. Cry me a river chante Camille… sans doute !
Si on suit le chemin de la programmation de cette première partie du Festival des Nuits de Fourvière, avant que les grands noms du rock et de la pop ne se succèdent sur la scène du Grand Théâtre, le voyage proposé nous porte à Oullins, au Théâtre Renaissance, pour la présentation de Antigone à Molenbeek et de Tirésias, le tout dans une mise en scène du Belge Guy Cassiers, un régal.
Le premier texte, Antigone à Molenbeek est de Stefan Hertmans qui tente une adaptation contemporaine du mythe d’Antigone et transpose la lutte fratricide entre Étéocle et Polynice et cette bataille pour la gouvernance de Thèbes dans un monde où le radicalisme religieux mène des humains vers un engagement qui les conduisent à la violence. Audacieux parallèle qui ne resitue pas la guerre entre les deux frères pour le pouvoir sur Thèbes et donc la fin tragique n’a pas vraiment de correspondance avec les morts de Daesch, mais mettons… Ce texte est porté par Ghita Serraj, magnifique comédienne, sublime Nouria/Antigone qui, entourée – le mot est juste – par l’époustouflant Quatuor Debussy interprétant le Quatuor à cordes de Chostakovitch, qu’ils jouent avec une dextérité absolue – soutient Nouria dans tout son message de révolte, car elle veut, tout comme Antigone, enterrer son frère, mais les autorités lui refusent… Les péripéties se succèdent, l’ultime visite et vision de son frère la mène en prison pour une fin tragique. Blanc et inerte sera le constat de la disparition. La mise en scène de Guy Cassiers, dans un dispositif habituel dans son travail, mais qu’il maitrise parfaitement, avec des reprises en vidéos, des gros plans comme des détails d’autos-portraits, renforce le propos dramatique du spectacle.
Un bonheur ne vient jamais seul et comme si ce n’était pas suffisant, après un long entracte presque incompréhensible tant la scénographie de Tirésias est proche de celle d’Antigone, l’apparition magique de Valérie Dréville, dans un texte étrange de Kae Tempest, auquel elle apporte toute sa sensibilité. Chaque intensité de chaque mots dit sonne juste. Chaque souffle est vrai. Tout tombe parfaitement, le Quatuor Debussy impeccable de force et de présence discrète… c’est un sans-faute.
De ces chimères, de ces mondes qui se croisent, de ces univers qui se révèlent, le Ballet National de Marseille, dirigé par le trio de (la)Horde, s’est aussi emparé de ces sujets, pour les mettre en scène. Pour la musique, ils recourent à Rone, DJ électro qui s’impose dans ce monde-là… Quel chemin depuis Roland Petit, le fondateur du Ballet National de Marseille – auquel l’Opéra de Paris rend hommage. Quel chemin parcouru par cette compagnie naguère si néoclassique. Là ce sont quinze danseurs qui exécutent une performance incroyable et même si toutes les images ne sont pas du meilleur goût, même si les référence sont plutôt tendance Lara Kraft que Jean Cocteau, on regarde Room with a view avec toujours autant de fascination que To da bone, créé en 2017 et dont les premiers pas avaient fait quelques remous… Mais arrimés à leur(s) idée(s), forts de leur reconnaissance en 2019 par l’institution – pour une fois dans le bon timing ! – Marine Brutti, Jonathan Debrouwer et Arthur Harel fixent l’attention sur une chorégraphie en trois dimensions qui voit se succéder dans un décor de fin du monde – le programme parle d’un white cube muséal – des solos brisés par le rythme de la musique électro saturée, des duos façon « je t’aime, moi non plus », des ensembles qui font penser aux zombies de thriller, tous les quinze, autour de la plateforme du DJ qui, seul en noir et rouge, lance les sets sans se départir d’un sourire, comme s’il était dans un concert à lui ; et d’ailleurs le public réuni est ici bien plus pour lui et sa musique que pour la danse qui reçoit néanmoins un bel accueil, digne de rock stars ce qui a dû surprendre les danseurs du BNM dont une des dernière sortie avec ce spectacle était dans les ors du Théâtre du Chatelet à Paris. Donc, on l’aura compris, tout n’est pas complètement acceptable, à commencer par ces costumes dont certains font assez peur – surtout si on pense que c’est l’avenir de la mode ! – mais on assiste quand même à la première chorégraphie entonnée… un exploit !
Cette incursion nocturne dans le programme des Nuits de Fourvière se finira par Comprendre – des mots sur les maux, spectacle présenté dans le cadre du nouveau et joyeux festival Les entêtés, initié par le Théâtre du point du jour. Sur des textes de Sonia Bester et dans une mise co-mise en scène qu’elle signe avec Isabelle Antoine. La soirée comprenait une courte lecture de textes recueillis par Sonia Bester à l’hôpital des Massues, voisin du théâtre… Des paroles fortes, dites par des soignants. Un petit moment d’incursion dans le réel émouvant qui sera suivi d’une vraie fiction, toujours sur thème de la maladie et de sa guérison. Laborieusement interprété par trois comédiens de niveau inégal, le texte n’en finit pas de rebondir en chansons, rendant la chose assez pénible et faisant un peu perdre le fil du sujet ; il est question de « théâtre musical » et de ce côté-là, nous avons été servis… pas grand-chose à sauver de cette proposition pavée de bonnes intentions médicales… dommage.
Emmanuel Serafini
Image : Antigone à Molenbeek de Guy Cassiers – Photo DR