RETOUR : A RENNES, UN MINI-MYTHOS, MAIS TOUJOURS LE MÊME BON GOÛT DES SPECTACLES
Festival Mythos – Rennes.
Mini-mythos, mais toujours le même bon gout de spectacles.
Comme de nombreux lieux culturels, le Festival Mythos est sorti de son confinement… Il n’a pas pu envahir le Tabor avec des concerts débout, encore incertains il y a peu, mais il a rassemblé quelques pépites pour qu’on ne perde pas le goût de l’aventure qu’il propose depuis des années à Rennes…
Génération désenchantée.
Le périple commençait par Partez devant, proposé par Le grand Cerf Bleu, compagnie créée par Laureline Le Bris-Cep, Gabriel et Jean-Baptiste Tur en 2014 et dont la première création Non, c’est pas ça ! (Treplev variation) avait reçu le Prix du Public au Festival Impatience en 2016… Une bonne référence… Pour ce nouveau spectacle, sur un texte de Quentin Hodara et une mise en scène de Laureline Le Bris-Cep, même méthode de travail : écriture au plateau, assemblage de scénettes, un peu à la manière des grands films à sketches italiens qui étaient un prétexte à une performance d’acteur/trices… On est dans un quadri frontal, lumière du jour, les chaises en cercle, sorte d’idéogramme au milieu duquel , Adrien Guiraud et Juliette Prier, colocataires, vont échanger sur le monde tel qu’il est, tel qu’ils le vivent et, de là, ils vont nous emporter dans un récit sociale et sociétale, au bout duquel on sent venir la chronique d’une séparation annoncée. Clara, serveuse, n’en peut plus de gagner des clopinettes en faisant un max d’heures, lui glandeur sensible, désabusé, qui voit tout par le petit bout de la lorgnette de sa désillusion chronique, sorte de dépressif contemplatif mais malin qui sait où chercher les moyens de son farniente… Comme tous les drames, ça commence bien ! Il l’encourage. Elle se laisse guider. Elle lui prouve qu’elle aussi peut tout quitter… Lui ne voit rien, ne comprend rien et lorsqu’il peut se déclarer, il la laisse partir sans qu’aucun geste ne vienne changer leur destin… Les deux comédiens sont natures, pas du genre à rester dans leur loge pour entrer dans le personnage, mais le réalisme de leur propos comme de leur jeu touchent et juste, au cœur, sans dévier… ça appuie là où ça fait mal… Ce n’est pas un vulgaire cake à la châtaigne, réalisé laborieusement par Simon, qui viendra changer les choses, surement pas. Cette page de vie quotidienne des post-ados moyens est bouleversante et vraie. L’humour sarcastique est à tous les coins de phrases, comme savent le faire les auteurs anglais caustiques et grinçants, un peu à la Pinter… Clara et Simon sont donc le double de notre société qui paient leurs loyers mais cherchent à gruger les assedics… De quoi sont-ils fiers ? à voir sans hésiter…
Hooligans.
Le second rendez-vous était Palmyra de Bert et Nasi.. et, là aussi, c’était du lourd ! Pendrillons, tapis de danse noir, deux chaises, même couleur… une table avec un ordinateur à jardin… deux hommes, un tout en noir, l’autre avec un t-shirt blanc et une barbe fournie tirant sur le roux… Il se hisse sur la planche à roulette qui vient de leur servir à apporter un carton… Le premier, Nasi, monte sur la planche le second Bert le saisit par la main, comme pour danser une valse et l’entraine sur le plateau, rapidement, frôlant les spectateurs, le lançant violemment vers le lointain. On sent une vraie tension. On ne sait pas bien ce qui se passe, mais un malaise nous saisit… c’est très intense. Ils contemplent une assiette cassée… Bert ramasse. Il va prendre une autre planche et sur le ventre tous les deux se lancent dans un duo, se tienne par la main, se lâchent et entre en collision. On pense aux autos-tamponneuses des fêtes foraines… Surtout dans la bagarre réaliste qui s’en suit… C’est l’intrusion d’un outil qui va pousser la situation à son paroxysme. Le spectateur est mis à contribution… Ambiance Shining… visages crispés, doutes sur l’issue… On est happé par le jeu volontairement réaliste de Bert qui ne cesse d’inquiéter… Ce duo façon je t’aime – moi- non plus casse les codes et plonge le spectateur dans un abime de perplexité… L’espace est vite recouvert de la vaisselle qu’on sent cassée depuis des lustres entre eux deux… Mention spéciale au souffre-douleur Nasi qui est parfait dans ce rôle et reçoit l’empathie de la salle… Il finit d’ailleurs par l’emporter, comme quoi !
La vie devant soi.
La soirée finissait par Les possédés d’Illfurth, un monologue vif et inspiré, dit par Lionel Lingelser sur un texte incisif et sensible coécrit avec Yann Verburgh. Le Munstrum Théâtre est connu pour ses excès, ces spectacles aux costumes foutraques et à l’esprit insolent. Ils avaient marqué le Festival d’Avignon 2019 avec 40° sous zéro, l’adaptation de pièces de Copi et on s’attendait à quelque chose dans le genre, mais là, rien de tout ça… une sobriété calme. Juste un trublion qui sort de la salle avec un tambourin, une couronne en papier et une cape noire… vont défiler tout le long des deux heures que dure le spectacle, la vie du personnage. Lionel Lingesler est, comme toujours, prodigieusement renversant, émouvant… Il raconte sa vie. Une sorte de Philippe Caubère, plus tard, après les années 80… il y a de cela dans cette performance qui décrit le travail du comédien, un vrai manifeste sur le jeu de l’acteur… Hélios, le Dieu du soleil garde à distance Lionel, on est tout de même tenté de penser qu’il y a un peu de lui dans cette fresque alsacienne, dans ce conte mythologique et croyant qui fera deux miracles dans la ville d’llfurth où Théodore et Joseph seront exorcisés de leurs démons et feront dans les années 1870 beaucoup parler d’eux… tout ceci est un prétexte à un spectacle énergique dans lequel Lionel Lingelser montre toute une palette sensible et de nombreuses finesses de son art… Finalement, être au présent n’est pas donné à tout le monde, mais cela on ne le sait qu’après…
Ainsi s’achève une vraie tranche de Mythos… avec des pépites dedans, des morceaux de bravoure et des trouvailles qui donnent envie de revenir ou encore d’aller découvrir tous ces spectacles qui seront à La Manufacture dans le OFF d’Avignon 2021 qui aura bien lieu, du moins, on l’espère !
Emmanuel Serafini, envoyé spécial à Rennes