« WET » : A TOURS, UN FESTIVAL QUI SE MOUILLE POUR L’EMERGENCE
WET – Festival de l’émergence – 7e édition – Tours, du 24 au 26 mars 2023.
Le Centre dramatique national de Tours présentait sa 7ème édition de son désormais fameux et célèbre WET, festival de l’émergence, initié par son directeur Jacques Vincey et dont la programmation est confiée à huit membres du Jeune Théâtre en Région Centre, alias JTRC ; espérons d’ailleurs que cet événement perdurera après le départ du directeur car le travail accompli est remarquable, les salles sont pleines et pas seulement à Tours puisque l’enjeu pour le CDN était de se déployer au-delà de la ville centre, ce qu’il fait avec succès.
Huit spectacles étaient proposés en trois jours, voici ce que nous pouvons en dire…
« Sous L’orme« , un texte et une mise en scène de Charly Breton, monologue joué par Guillaume Constanza. Un spectacle crépusculaire, dans la grande salle (peut-être trop grande ?), avec une recherche esthétique très poussée, à savoir un écran blanc au lointain sur lequel un vidéoprojecteur fait défiler des nuages, image qui se complète avec de la fumée (beaucoup), au sol tapis – miroir noir, cerclé d’un cadre de bois, encadrant bien l’action du comédien qui m’a semblé bien seul pour imposer cette proposition esthétiquement exigeante sur le thème de la radicalisation – n’est pas Jean-Quentin Chatelain qui veut… Le choix esthétique, dans une peine ombre soporifique absorbait le texte et son impact, ce qui fait qu’on avait du mal à s’y intéresser, tous occupés à balayer de notre main la fumée qui ne cessait de nous arriver dans les yeux.
Suivait « Amer Amer« , sur une mise en scène d’Elsa Rauchs et Jérôme Michez, texte et jeu de ce dernier. Dans une installation très chiadée, faite de petits ilots, sorte de micro-scènes de vie comme à la face ces étagères sur lesquelles sont posées serviettes éponges, bouteilles d’eau et verres qui joueront pendant le spectacle, où au lointain, à cour, un fauteuil orange qui claque dans cet espace blanc ou deux yukas et un miroir sur roulettes viennent finaliser un espace marqué par cinq néons led et au fond des voilages blancs transparents, laissant une impression de fenêtre ouverte sur le monde, sans fin, comme le spectacle qui pourrait durer des heures et qui là dure 1h20… Le principe est audacieux puisque le comédien, à travers un appel à participer projeté sur le mur au début du spectacle, propose à un/une spectateur.rice de jouer « le rôle de la mère »… Lors de la représentation à laquelle j’assistais, un garçon est venu s’assoir et a fait la performance avec le comédien. La conversation est banale comme celle d’une mère avec son fils… « As-tu appelé ton père ? As-tu payé la mutuelle ? Est-ce que tu restes manger ? » le tout entrecoupé de réponses qui sont redites comme en écho par les deux comédiens sur scène… et cela porte à des quiproquos drolatiques. Il y a plein d’actions… c’est assez riche, même si un peu long – on comprend vite où cela veut aller… poussé jusqu’à l’absurde, trahissant aussi la banalité de nos vies, de nos échanges… Une sorte de En attendant Godot 2023, intéressant néanmoins.
Après le Théâtre National de Bretagne, on pouvait revoir « Sirènes« , écriture et mise en scène et jeu de Hélène Bertrand, Margaux Desailly, Blanche Ripoche. Dans un univers de bâches de polyanes tendues des cintres, quelques rochers façon banquise sont sur scène lorsque les spectateurs rentrent. Une fille nue arrive des coulisses par jardin et vient poser une radio de laquelle sort une parodie drolatique d’une émission façon France Cu sur le climat avec des mots savants, mâchonnés avec des phrases vides de sens… Deux autres femmes font leur entrée, nues elles aussi. Toutes trois enfilent leur tenue de sirène et se placent sur la banquise, longtemps, trop longtemps… Sous des aspects qui se veulent drôles et décalés, les trois comédiennes ne vont pas plus loin que leurs intentions. De ce vivarium, il ne sort, finalement, rien que des banalités… Décevant.
Les deux spectacles qui suivent sont des petites pépites, à commencer par « Oh Johnny« , écriture, conception et mise en scène de Liora Jaccottet. Présenté pendant AZIMUT à Lyon, artiste associée au Point du Jour, Liora Jaccottet et son équipe ont mené une enquête auprès de fans de Johnny Hallyday… Et à travers ce titre en trompe l’œil, dans une scénographie minimaliste de formica, apparaissent des gens de notre société… Sans tomber dans la parodie ni la caricature, cette forme très documentée rend hommage à ce que des présidents qualifiaient de « sans dent », des petites gens qui se sont raccrochés à ce totem de la variété et qui ont opéré un transfert sur lui, ses chansons, sa vie… cette vedette yéyé est devenue l’un des leurs… Très touchant. Le spectacle sera donné à la MC2 en décembre 2023.
L’autre temps fort du festival sera « Poil de carotte, poil de carotte« , conception de Flavien Bellec, Etienne Blanc et Solal Forte. Magnifique travail réalisé avec deux chaises, une malle de jouets, un ordinateur, un vidéo projecteur. Un spectacle qui part de Jules Renard, de son journal intime, qui passe par Poil de Carotte et de l’impossibilité pour un metteur en scène de monter ce texte sans tomber dans les clichés liés à ce héros roux… Solal Forte est PRODIGIEUX dans le rôle du souffre-douleur du metteur en scène Flavien Bellec insupportable de suffisance grâce à sa réussite professionnelle. Là aussi Becket n’est pas loin. Ce travail vraiment passionnant. Ils seront au Monfort du 12 au 22 avril 2023. A ne pas rater…
Une fin de soirée passée avec « Welcome« , chorégraphie et interprétation de Pauline Bigot, Sophie Lèbre et Joachim Maudet. Sur une toile blanche tendue des cintres au sol, deux femmes, un homme, tous en pantalon blanc et sous pull acrylique jaune, sont sur scène à l’entrée du public et se déplacent lentement de cour à jardin, sorte de cosmonautes dans l’espace, et sans bouger la bouche (ventriloques diront certains) font des commentaires sur les spectateurs qu’ils voient dans la salle, sans doute ce qui peut se passer dans la tête d’artistes sur scène qui n’ont pas besoin d’être concentrés… C’est très drôle, assez irrévérencieux…. Ils seront au Théâtre du Train bleu cet été à Avignon, il ne faudra pas les rater…
Une édition réussie, une dynamique installée pour des spectacles sans tête d’affiche ni vedette qui se relancent… Comme quoi c’est possible de mobiliser le public avec des spectacles qui n’ont pas le label « vu à la télé »… Un renouvellement des écritures qui se confirme à Tours, humide de pluie, WET oblige, pendant ces trois journées marathon.
Emmanuel Serafini,
Envoyé spécial à Tours
Image: « Welcome », photo M.Vendassic.Tonnerre