LARISSA SANSOUR : ESPACE CONTROLE

Exposition Larissa Sansour / Jusqu’au 20 octobre 2012 / Galerie Anne de Villepoix, Paris.

La Galerie Anne de Villepoix présente en ce moment une exposition monographique de l’artiste palestinienne Larissa Sansour (née en 1973). Entre photographie, installation, édition et vidéo, elle développe depuis le début des années 2000 une œuvre inspirée de différents domaines : cinéma, documentaire, publicité, bande dessinée, télévision. Elle oscille entre références populaires, humoristiques, fictives, réelles, ironiques et esthétiques pour formuler une œuvre critique et politique en adéquation avec sa volonté d’une reconnaissance internationale d’un État palestinien.

Une volonté qu’elle dissèque et met en scène dans différents contextes : dans l’espace, dans la maison, dans la ville. À paris, le visiteur est d’ailleurs accueilli par une horde d’astronautes miniatures (Palestinauts – 2010) disposés sur le sol. Parés de combinaisons blanches, de casques aux visières noires, opaques, ils sont chacun marqués du drapeau palestinien. Les jouets-robots résultent d’un travail vidéo, A Space Exodus (2009) qui est conjointement présenté : un(e) astronaute plante le drapeau palestinien sur la lune. Le ton est donné, Larissa Sansour nous fait entrer dans son univers partagé entre futurisme et réalité quotidienne. Un univers complexe qui raconte la lutte d’un peuple à la recherche d’un foyer.

La seconde salle est consacrée aux traces et aux constats liés au projet Nation Estate (2011-2012). Celui-ci est composé d’un film de neuf minutes, d’une affiche, d’une maquette, de poteries et de sept photographies couleur. Le film est projeté dans l’espace suivant. Le regardeur suit le parcours d’une femme, l’artiste elle-même, qui déambule dans un étrange building. Le bâtiment de verre et de métal s’élève sur plusieurs étages et semble isolé du reste d’une ville fantomatique, fumante et grise. Il s’agit ici d’un retour de voyage, elle tire une valise et revient chez elle : où sommes-nous ? Nous apercevons le dôme doré d’une mosquée, un hall immense, pratiquement vide. Au fil de ses pas, de ses attentes et de ses gestes, nous comprenons qu’elle se trouve dans un État conceptuel, celui de la Palestine. L’État est synthétisé en une seule structure architecturale, dont l’artiste propose également une maquette blanche et évidée. Chaque étage correspond à une ville emblématique, Jérusalem au troisième, Ramallah au quatrième et Bethlehem au cinquième étage. Ce dernier prend une dimension particulière pour l’artiste puisqu’elle est née à Bethlehem. Pour accéder aux différents étages, il lui faut prouver son identité en scannant ses empreintes digitales.

Tout ici est symbolique. Lorsqu’elle entre dans son appartement, l’artiste entreprend des activités domestiques, triviales. Elle arrose un olivier planté dans le sol. Les racines soulèvent et fissurent le béton. L’olivier incarne l’espoir et la vie dans cet environnement totalement aseptisé (néons, larges baies vitrées, matériaux froids, impersonnels). Elle se met ensuite à table, elle déguste dans une multiplicité d’assiettes, bols et saladiers des plats traditionnels provenant de plusieurs régions arabes. La vaisselle est imprimée des motifs du keffieh. Un symbole fort et recontextualisé ici d’une manière tout à fait intéressante. Historiquement le keffieh était uniquement porté par les hommes issus de milieux ruraux, il est peu à peu devenu un signe extérieur d’appartenance et de résistance. Yasser Arafat l’a rendu internationalement célèbre. Le keffieh est traditionnellement associé aux hommes, pourtant Larissa Sansour l’utilise ici comme un motif décoratif, qui plus est dans un espace qui est lui traditionnellement assigné aux femmes. La vaisselle contient alors une dichotomie établie avec malice. Certains éléments sont d’ailleurs présentés dans l’exposition. Le repas gargantuesque est suivi une scène finale troublante : la femme qui regarde au loin touche son ventre, elle est enceinte. Au loin, la guerre, l’insécurité. Elle est enfermée dans une tour d’ivoire, surveillée, contrôlée, bâillonnée. Comment survivre et envisager un avenir dans cet espace inhospitalier et incertain ?

Le bâtiment contient tous les symboles (géographiques, culturels, religieux) de la Palestine : les mosquées, les soldats, la Mer Morte, l’olivier, le keffieh. Elle joue sur les images et les stéréotypes pour donner vie à une utopie, une fiction qui serait parallèle à la réalité palestinienne. Une réalité à laquelle l’artiste se confronte en proposant des projets où détournement, humour, ironie, références et critique s’entremêlent. Une démarche critique comprise comme un engagement personnel envers la reconnaissance de l’État palestinien. Son travail lui a d’ailleurs valu une censure lors de sa participation au Prix Lacoste Elysée fin 2011. La marque a en effet jugé le travail de Larissa Sansour comme étant « trop pro palestinien » et a souhaité la retirer de la liste des nominés. Pour clore la polémique, qui a pris une ampleur considérable sur Internet et dans les journaux, le musée suisse a finalement décidé d’annuler le prix. Son œuvre nous pose des questions, elle ouvre les yeux sur les conditions de vie d’un peuple en quête d’identité collective, de droits et de libertés fondamentales.

Julie Crenn

Larissa Sansour – Nation Estate, du 8 septembre au 20 octobre 2012, la la Galerie Anne de Villepoix.

Plus d’informations sur l’exposition : http://www.annedevillepoix.com/
Plus d’informations sur l’artiste : http://larissasansour.com/

Visuels : Larissa Sansour. Nation Estate (2012). Courtesy Galerie Anne de Villepoix.

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