LES TROIS SOEURS VERSION ANDROÏDE : LES PRODIGIEUX ROBOTS D’HIRATA AU COEUR DE L’HUMAIN

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FESTIVAL D’AUTOMNE : « Les Trois sœurs version Androïde » / Ozira Hirata / D’après Anton Tchekhov / T2G Gennevilliers / jusqu’au 20 décembre 2012.

La figure de proue du théâtre japonais contemporain Ozira Hirata s’est inspirée des « Trois sœurs » de Tchekhov pour créer une pièce sidérante, où comédiens et androïdes révèlent la fragilité de l’Être. Une œuvre présentée à la fois dans la lumière du Festival d’Automne à Paris et de la Plateforme Japon du T2G.

Il y a une puissance rarement rencontrée dans la pièce d’Ozira Hirata, premier au monde à avoir créé un spectacle avec des androïdes. Muer le grand classique de Tchekhov en une pièce visionnaire faisant intervenir des robots « géminoïde », les plus proches de l’être humain, relève autant du jamais-vu que du grand art scénique.

Les transpositions sont emplies de sens et libres. Là où les trois sœurs tchekhoviennes rêvaient de retourner à Moscou, la famille Fukazawa se leurre de revoir Tokyo. Dans une ville provinciale en pleine crise économique liée à la hausse du Yen, chacun fait avec une vie dont il s’accommode. L’aînée porte la famille, la cadette supporte un époux irritant, quand la benjamine, que l’on croit morte, a été remplacée par un androïde fabriqué par son père avant sa propre disparition. La famille cache en réalité le retrait du monde de cette plus jeune sœur, enfermée dans la maison, refusant de se confronter à l’extérieur. Ce n’est pas le seul secret, pas le seul drame. La condition humaine leur a réservé à tous un sort lourd à accepter.

Où les membres de la famille et ceux qui les entourent n’arrivent pas à exister, les androïdes ont certainement semblé apporter une solution. Et là où les hommes et les femmes ressemblent à des machines qui s’emballent dans des mouvements saccadés, à des entités qui calculent afin d’éviter le pire, les robots laissent voir une forme de sensibilité et de spontanéité profondément touchantes. L’apparition de la sœur androïde créer cet effet sidérant, tant la vraisemblance humaine est forte, tant la voix est émouvante et les questionnements innocents. Quand la véritable sœur entre sur scène, avec des gestes précis et mécaniques, elle suscite une réflexion désormais évidente : « L’autre Ikumi, jusqu’où elle est toi ? ».

Ozira Hirata parvient à faire des androïdes des personnages à part entière, à les mettre au service d’une question troublante qui habite tout la pièce : non pas « Qu’est-ce qu’être un Humain ? » mais « Qu’est-ce qu’être humain ? ». Cette interrogation complexe nourrit en permanence des dialogues et des situations où l’humour ne manque pas de renforcer le propos, l’attitude des non-robots prêtant parfois plus à rire ou sourire que celle des androïdes. Et quand la trame narrative révèle un événement tragique achevant tout espoir de liens , mais révélant bien au contraire la lâcheté pure des uns et des autres, la pièce atteint son point d’orgue. Le propos est déroutant parce qu’impossible à remettre en cause. Les hommes et femmes sont révélés tels qu’ils sont. Hirata a gardé en cela l’esprit caractéristique de l’œuvre du maestro russe : « Ce qui m’a beaucoup marqué chez Tchekhov, c’est le fait qu’il ait décrit les femmes et les hommes de l’Empire Russe en voie d’effondrement avec un regard plein d’amour. J’essaie moi aussi, à ma façon, de décrire les femmes et les hommes du Japon, un pays qui est en train de s’effondrer. C’est Tchekhov qui m’a appris comment représenter les gens ordinaires avec amour, sans porter de jugement ».

Ce qu’il fait vibrer sur scène avec cette « bienveillance » revendiquée, c’est la crise intime qui ébranle les personnages tout autant que la crise économique qui délite la société, déjà bien étouffante de conventions. Que ce soit le micro ou le macro drame, « Les trois sœurs version Androïde » embrasse l’ensemble d’une problématique fondamentale. Et révèle de façon splendide la mécanique cachée de l’humain.

Aude Maireau

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