OPERA : UN MESSIE DE NOËL A L’OPERA DE LYON
OPERA : Le Messie de Haendel / Opera de Lyon / Mes : Deborah Warner / Chef : Laurence Cummings / en coproduction avec l’English National Opera / a été donné du 3 au 14 décembre 2012 à Lyon.
Il y avait une certaine audace, de la part de l’Opera de Lyon, à proposer dans sa programmation d’opera une version du célébrissime « Messie » de Haendel, un oratorio normalement exécuté en concert, mais ici scénographié par la Britannique Deborah Warner, retravaillant une version déjà donnée à Londres en 2009 ; de l’audace également, de la part de celle-ci, à donner une lecture résolument contemporaine du récit biblique qui sert de trame à cette oeuvre créée en 1742 à Dublin.
En soi, l’idée est excellente : le compositeur, anglais d’adoption, est avant tout un spécialiste de l’opera qu’il a contribué à introduire en Angleterre ; la structure même de son oratorio est très dramatique, détachée de toute nécessité liturgique, et articulée autour de trois parties – Nativité, Passion et Rédemption – propices à la narration scénique.
Pourtant, l’audace a ses limites. L’effort de réactualisation du message évangélique s’enracine dans une très longue tradition, depuis les Mystères du Moyen Âge jusqu’aux Pastorales du XIXe s. Il est d’ailleurs significatif que Deborah Warner juxtapose au décor urbain contemporain des références visuelles venues de l’art des XIVe et XVe s., par le biais de vastes projections ou sous la forme d’objets radicalement décalés – les coffrets d’or apportés par des rois mages de banlieue, ou les arma christi, ces objets ayant servi au martyre du Christ et qui lui servent à évoquer la Passion, une des scènes sans doute les plus réussies. Le procédé, esthétiquement très convaincant, conduit néanmoins à une forme de consensualisme finalement assez irritant. C’est le principal reproche que l’on fera à la mise en scène de Deborah Warner.
Passé le stimulant tableau d’ouverture, associant des scènes de la vie quotidienne sur fond de paysage urbain nocturne dans un rythme soutenu accompagnant celui de Haendel, la représentation s’enfonce peu à peu dans un rassurant « esprit de Noël », décidément dépourvu d’aspérités. Quoi de plus consensuel que la naissance d’un enfant, que ce soit dans une crèche ou dans une maternité ? Le sommet est atteint à la fin de la seconde partie, où l’on assiste à une embrassade collective sur une verte pelouse surmontée d’un arbre doré, après quelques pas de hip-hop, gage nécessaire à la diversité ! Dans un tel cadre, le spectaculaire et trop célèbre Hallelujah est entonné dans une ambiance confinant à la mièvrerie. La troisième partie, plus sobre, est beaucoup plus convaincante, même si l’on n’échappe pas aux confettis dorés lors du final… A la fin de ce livre de belles images, on en vient à se demander ce que la scénographie apporte vraiment à l’oeuvre de Haendel.
Musicalement d’ailleurs, la production de Lyon est une réussite. L’orchestre et les choeurs de l’Opera sont placés sous la baguette expérimentée et dynamique de Laurence Cummings, qui fait fi de tout puritanisme baroque et entraîne visiblement les choristes dans un plaisir communicatif. Le quatuor de solistes, quant à lui, fait preuve d’une belle tenue, acceptant avec plus ou moins de réussite le jeu de la scène. Si l’alto Catherine Wyn-Rogers mise surtout sur son expérience et ne se livre qu’avec parcimonie, on retiendra surtout la voix superbe et l’interprétation très juste de la soprano Sophie Bevan, ainsi que la très belle présence scénique du baryton Andrew Foster-Williams.
Même si l’on n’est jamais à l’abri de surprises en la matière, on peut raisonnablement penser que ce Messie ne suscitera aucune polémique de la part des catholiques intégristes. Il n’y a pas à le regretter, car la provocation pour elle-même ne présente aucun intérêt. Mais à l’inverse, le consensualisme à tout prix risque fort d’être une bride à l’audace créative, cette véritable audace finalement trop peu présente ce soir-là, sur la scène de l’Opera de Lyon.
Paul Mogual
Le Messie de Haendel, Opera de Lyon en coproduction avec l’English National Opera, du 3 au 14 décembre 2012.
Crédits photos copyright Stofleth / Opéra de lyon 2012.