LES CHIENS DE NAVARRE : « QUAND JE PENSE QU’ON VA VIEILLIR ENSEMBLE », AUX BOUFFES DU NORD

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Les Chiens de Navarre « Quand je pense qu’on va vieillir ensemble » / Bouffes du Nord / Du 14 au 25 mai 2013.

La dernière création des Chiens de Navarre, Quand je pense qu’on va vieillir ensemble, est un ensemble de saynètes composite à la Joël Pommerat, en moins écrit, moins réaliste et moins net du point de vue esthétique. Des situations types de la vie quotidienne sont explorées, entrecoupées par des passages au noir, dont le thème dominant est le déguisement du mal-être et des détresses individuelles par des codes sociaux qui conforment à la norme. Entre empathie et rire, le public est écartelé.

Appelés par de retentissantes trompettes, les spectateurs entrent fébriles dans la salle des Bouffes du Nord pour s’installer. Un avant-spectacle accompagne son installation et en perturbe le cours : huit jeunes jouent à la pétanque, s’insultent, se battent et s’amusent, dans un terrain vague ou une déchetterie, parsemé de pneus, de palettes en bois et de feux artificiels.

La scène semblerait anodine si les comédiens, dans leurs habits de fortune, n’étaient pas recouverts de sang, de la tête aux pieds. Un rouge vif, non uniforme, désigne une violence dont on ne connaît pas la source. Ces gueules cassées, au nez effacés et à la mâchoire animale, toisent le public en riant, qui adopte en retour une posture défensive, craignant l’agression, visuelle, verbale, voire physique, les frontières scène/salle étant poreuses.

Un passage au noir qui indique le véritable commencement du spectacle révèle que ce tableau n’est que le premier d’une série. Ne restent qu’un homme et une femme, pour un duo qui imite celui de Tina et Ike Turner, chanté en play-back. S’ils sont encore sanguinolents, on entrevoit déjà leur générosité et le lien profond qui les unit. Dans un troisième temps reviennent les autres, propres et en habits. A partir de là se distinguent deux types de scènes : celles de coaching social et celles de tendresse amoureuse. Alors que les premières déclenchent le rire par la caricature, les secondes sont plus rares, plus inattendues, plus légères aussi, accompagnées de musiques amples.

Ce qui est dénoncé sous la forme de l’exacerbation, c’est la représentation sociale, l’image de soi et les codes imposés par la société. Cela au travers d’une séance de formation pour « s’aimanter au réel » par un couple bourgeois aux opinions transparentes, d’un stage d’entraînement pour un entretien d’embauche – avec les sketchs de la porte et de la poignée de main, bien connus, que l’on a notamment vu dans Cercles/Fictions de Joël Pommerat – ou lors d’une séquence de coaching pour exploiter au mieux son sex appeal, fondée sur des représentations clichéiques des deux sexes.

A cela s’opposent deux courtes trêves, où c’est au contraire l’humanité qui prend place. Humanité pourtant mise à distance par sa représentation pas tout à fait humaine : dans le premier cas, un couple de chiens nerveux, instinctifs et sexuels se déshabille, se couche et s’enlace avec beaucoup de douceur sur un matelas ; dans l’autre, ce sont des êtres non-identifiés, entre le végétal et l’animal, qui dialoguent et se redisent leur amour, sans lyrisme et sans pathos.

Ce discours critique fondé sur l’improvisation suscite en grande partie le rire. Les sons enregistrés d’applaudissements et de cris d’enthousiasmes sont progressivement remplacés par les encouragements du public bien réel, qui, ainsi invité à s’exprimer, applaudit à chaque passage au noir, comme après un numéro de cirque. Avec leur énergie et leurs simples moyens scéniques – quelques chaises déplacées sur un sol fait de terre et de sable, des lumières qui distinguent des espace et créent des atmosphères et des fumigènes – le collectif emporte l’adhésion du public.

Outre cette remise en cause des codes sociaux, des impératifs de bien-être et de confiance en soi qu’impose la société, ce que l’on voit, ce sont des âmes perdues, en détresse, guidées par des individus qui aggravent leur mal-être en pointant du doigt leurs failles et en les humiliant, tels des boucs émissaires. Ces personnalités fragiles touchent, écrasées par la grossièreté et le conformisme de ceux qui les aident.

Alors que la grande majorité se livre toute entière au rire, certains oscillent, pris d’empathie, mélancoliques. Il ne s’agit probablement de choisir son camp, mais bien prendre conscience du geste dénonciateur des Chiens, qui ne sont pas là que pour offrir un divertissement sur le mode comique.

Floriane Toussaint-Babeau

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Photos Lebruman 2013

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