FESTIVAL D’AVIGNON : LE MAHABAHARATA DE SATOSHI MIYAGI A LA CARRIERE BOULBON

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68e FESTIVAL D’AVIGNON : MAHABHARATA / mes Satoshi Miyagi / Carrière de Boulbon / du 7 au 19 juillet, pause les 9 et 16 juillet / 22 H.

Lorsque plusieurs mythes se rencontrent, il ne peut surgir que de l’exceptionnel. Dans le cadre minéral surplombé d’une lune rieuse – propre à susciter les rêves les plus fous – de la mythique carrière de Boulbon, là où plane encore l’ombre tutélaire de Peter Brook mettant en scène en 1985 ce poème envoûtant chantant la culture indienne exhumée de la nuit des temps, le metteur en scène japonais Satoshi Miyagi, tel un Deus ex Machina, tutoie les Dieux en mettant en transe les humbles humains que nous sommes, tenus en haleine jusqu’au dénouement final.

Pendant près de deux heures, littéralement immergés dans un univers féérique si (merveilleusement) déstabilisant, nous en oublions notre statut d’adulte pour renouer délicieusement avec la candeur de l’enfance toujours prompte à écarquiller les yeux devant la beauté risquée du monde qui se donne à voir.

Sur un anneau de praticables cernant au-dessus de nos têtes les falaises abruptes de la carrière où se projettent, avatars du réel, les ombres des danseurs et danseuses revêtus de leur kimono de papier immaculé, défile au ralenti ou en accéléré, rarement à la vitesse ordinaire, un cortège de personnages portant pour certains des masques et accompagnés d’un bestiaire d’animaux fantastiquement représentés par leurs attributs « trompeurs », démesurés ou minuscules. Les marionnettes, héritières du bunraku – théâtre japonais du XVII ème siècle, sont « incarnées » par les comédiens et comédiennes qui jouent (le plus souvent, pas toujours) sans un mot, un récitant dédoublé prenant en charge lui le récit des aventures du Roi Nala, habité par le démon Kali, qui a perdu au jeu, son épouse, ses biens et jusqu’à son royaume.

Contraint alors d’abandonner la belle princesse aux courbes séduisantes, la sublime Damayanti, le roi Nala est condamné à errer misérablement. S’ensuivra une foule d’événements fantastiques, de rencontres merveilleuses ou « terriblement » inquiétantes dans le pur style du kabuki, cette forme de théâtre traditionnel japonais où une passerelle (hanamichi) s’avance au milieu du public et où les postures prises par les acteurs traduisent les conflits affectifs qui les agitent. Mais, comme dans toutes les histoires de princesse, fussent-elles celles nées dans l’imaginaire indien de 2200 av. J-C, le roi exilé, au terme d’un parcours initiatique semé d’embûches, sera délivré de l’affreux démon Kali et pourra de nouveau serrer dans son bras – où était resté accroché un pan du kimono de sa bien-aimée – la belle Damayanti.

Les rituels de la représentation en dédoublant le corps et la parole et en faisant donc interpréter par deux acteurs ce qui appartient à un seul, participent de la magie créée par l’esthétique épurée des tableaux vivants soutenus par les musiciens « en sous-sol ». Cependant, ces rituels ne sont pas systématisés permettant à la poésie, ce luxe de l’inaccoutumance, de surgir des plis des surprises continuelles qui viennent chercher le spectateur là où il n’a pas pour habitude d’être. Entremêlant ainsi les formes traditionnelles du théâtre japonais (division des mouvements, des voix et de la musique) aux formes plus actuelles (parler tout en agissant ou jouer tout en utilisant des instruments de musique), Satoshi Miyagi défie tous les codes préétablis. D’où ce sentiment ressenti et très communicatif d’une irrépressible onde de liberté aux effets jubilatoires. Ainsi lorsque le nom de la princesse Damayanti devient Damayan-tea, une pub pour du thé indien… Ou encore lorsque l’air de « Sur le pont d’Avignon » vient à être chantonné… Autant de facéties naïves qui nous ramènent au lieu de l’enfance, innocente et joyeuse ; un lâcher-prise enivrant vers tous les possibles.

Lorsque la mythologie, rêve éveillé des peuples, suscite ainsi la rêverie, mythologie privée du spectateur, la mise en abyme qui en résulte invite à un exaltant voyage personnel au-delà du réel. En remontant aux sources du Mahabharata, le public s’en trouve réenchanté, comme revivifié par ce bain de jouvence aux effets euphorisants.

Yves Kafka

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