JOSE DE LA TOMASA / EL CAPULLO DE JEREZ : DEUX CANTAORES DE CLASSE AU THEÂTRE DE NÎMES

FESTIVAL FLAMENCO DE NÎMES 2012.

Et pourtant, tout ou presque les sépare. L’un, José de la Tomasa, est un cantaor de la tradition, un aristocrate du flamenco, de ceux qui creusent inlassablement le sillon du grand Cante. Avec classe, sobriété et émotion, mais avec cette pudeur -d’autres diraient retenue- qui caractérise les grands ténors du genre. L’autre, Jerezano de la plus belle eau, est un trublion échevelé, un payo plus gitan que les Gitans, qui perpétue la juerga gitane avec ses palos festifs et sa buleria typiquement jerezana, endiablée, voyoue, en un mot décalée. Mais avec cette voz majestueuse digne, on le sent, de celle d’un immense Agujetas, autre voyou céleste du grand chant.

Les deux étaient paradoxalement réunis ce soir-là pour un dialogue, presque une confrontation entre deux mondes, deux conceptions de l’art. Le premier fut somptueux, tout à son art de cantaor habité, instruit d’une très longue tradition de cantaores à l’émotion, comme savait si bien le faire Terremoto, ou plus près de nous, plus vivant surtout, un Antonio Mejias, grand prix du festival de Cordoue et tout jeune chanteur qu’il faut suivre absolument. Sauf qu’en dépit de toute la science, la grande musicalité et l’extrême sensualité que le maestro José de la Tomasa déployait à Nîmes ce soir-là, force est de reconnaître que l’émotion ne passait pas tout à fait : peut-être était-ce dû à cette salle -un théâtre à l’italienne avec sa jauge conséquente et du coup un peu distante du tablao, du plancher de la scène- une salle qui au final s’avère difficile pour un flamenco émotionnel, de très grande sensibilité, qui demande peut-être un peu plus de complicité, de rapprochement avec un public pas forcément acquis à la chose…

Du coup, la très belle prestation du maestro -en qualité et technicité- est un peu passée à l’as. Dommage, car Tomasa ne manque pas de superbe. Quant à son guitariste Antonio Moya, vraiment virtuose, il a ébloui son public avec un toque très maîtrisé, à la fois plein des subtilités de ces falsetas diablement alambiquées, savantes sans être ennuyeuses, à la fermeté et au compas remarquables. Peut-être aussi José de la Tomasa, en choisissant un répertoire typiquement jondo, a t-il surestimé son public, plus enclin à apprécier les facéties et la buleria d’un Capullo que la tonalité noire des siguiriyas, soleares et autres chants du Levant du néanmoins très grand José…

El Capullo de Jerez s’est lui régalé à enflammer un public venu pour en découdre, à savoir profiter à la fois de la grâce rugueuse de ce cantaor hors-pair qu’est El Capullo, tout en partageant avec lui cette fougue et cette joie purement gitane qui d’un coup colorait la même salle qui avait accueilli Tomasa quelques instants auparavant, d’un air de fête et -n’ayons pas peur des mots- de communion avec un public acquis à cette volonté de festoyer à la Jerezana, au compas por bulerias et quasiment rien d’autre. Car, on l’aura compris, si El Capullo est un très grand cantaor, ce soir-là, il n’a donné de son art que les terminaisons nerveuses, préférant le compas des chants festifs de Cadiz, de Puerto et de Jerez aux « complications » d’un cante moins facil, moins prompt à déclencher l’approbation d’un public plutôt versé dans la libéralité de la fête que dans la charge noire du Cante Jondo.

Mais Capullo a pour lui cette très grande énergie, cette facétie canaille qui rallie immédiatement sympathie et enthousiasme. Et il sait s’en servir, lui qui d’emblée, et par contraste, s’est immédiatement saisi du plateau -et de la salle- en installant ses deux palmeros indispensables, et son guitariste Periquin on ne peut plus jerezano, tout aussi espiègle que son cantaor. La grâce du Capullo a percé tout de suite, avec cette voix que l’on dirait parfaitement gitane, rauquissime, ensablée de cigarettes et de mauvais brandy, dont on soupçonne qu’elle ferait merveille avec une minera ou une martinete de la plus belle manière. Une voix que l’on n’oubliera certainement pas. Et un rapport à la salle tout de suite complice, en grande amitié, qui l’a vu esquisser quelques pas de baile maladroits mais terriblement partageurs. Un homme dont on aimerait être l’ami.

Marc Roudier

José de la Tomasa et El Capullo de Jerez ont joué le 14 janvier au Théâtre de Nîmes dans le cadre du Festival Flamenco 2012.

Flamenco Nîmes 2012 : http://theatredenimes.com

Visuel : le cantaor El Capullo de Jerez.

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