SALON DE MONTROUGE 2012 : AU COEUR DE LA NOUVELLE SCENE

Salon de Montrouge, du 3 au 30 mai 2012, Montrouge.

C’est dans un bâtiment de briques rouges, le Beffroi,  ancien théâtre reconverti en espace culturel, que le Salon de Montrouge fait  cette année son retour. L’entrée est impressionnante, froide, impersonnelle.  L’architecture aux accents communistes est soulignée par l’affiche du salon  spécialement produite par Olivier Mosset (invité d’honneur de l’édition 2012),  une étoile rose clair sur fond rouge vif, le ton est donné. Sous la direction de  Stéphane Corréard, une équipe de critiques, d’auteurs et de commissaires  d’exposition ont sélectionné parmi le flot des 2 217 dossiers, 80 artistes dont  la plupart sortent à peine de l’école des beaux arts. Une sélection qui se veut  exigeante, plurielle et révélatrice d’une scène embryonnaire que le public,  professionnel comme amateur, est curieux et impatient de  découvrir.

Le salon dispose d’une nouvelle scénographie formulée  par Matali Crasset : des panneaux de bois qui découpent l’espace en plusieurs  allées, créant des petits espaces d’exposition pour chacun des participants. La  lecture du salon est claire, les accrochages lisibles. Chaque accrochage est  accompagné d’un texte critique rédigé pour l’occasion par les différents membres  du jury. Les artistes sont rapidement identifiés. Si la sélection se révèle  inégale parce que nous y retrouvons d’éternels motifs, objets et sujets,  quelques artistes ont retenu notre attention. Le regard impertinent de Joachim  Biehler qui s’approprie les autoportraits mythiques des superstars de l’art  contemporain dont il prend lui-même la place en y incrustant son visage (Like Project). Il incarne tour à tour  Annette Messager, Orlan, Marina Abramovic, Sophie Calle, Gilbert & Georges  etc.

Des références, des maîtres, des modèles qu’il lui faut dépasser pour  s’imposer avec humour et critique. Une démarche que nous retrouvons dans celle  de Nadège Dauvergne où images commerciales fusionnent avec les œuvres phares de  l’histoire de l’art. Une fusion qui donne lieu à une critique d’une boulimie  visuelle d’un formatage des regards et des esprits. Les pierres de sels  langoureusement léchées par des vaches en manque de minéraux que Nicolas Momein  expose telles quelles. Le passage répété des langues bovines a progressivement  sculpté les blocs blancs et gris. Un ready-made façonné par les animaux qui  propose une relecture du statut de l’artiste. Les associations visuelles et  textuelles de Jérémie Grandsenne qui extrait des images des magazines, journaux  et autres sources pour leur apposer des commentaires et des légendes. Une  intervention simple et sarcastique qui nous interpelle et nous amène à réfléchir  à des sujets sociétaux fondamentaux (religions, relations humaines, histoire  etc.). Les œuvres cartographiées aux mille et une languettes de papier de  Nathalie Boutté, où les gestes, les matériaux et la technique de superposition  méticuleuse, tranchent avec la vitesse, le raccourci et l’accumulation visuelle  que nous subissons chaque jour.

Les peintures et céramiques d’Eun Yeoung Lee mêlent  militantisme, surréalisme et poésie enfantine. Elle joue sur la notion  d’inquiétante étrangeté pour parler de la situation politique de la Corée. Le  corps d’une danseuse, flou et mu par une volonté architecturale instaurée par  Pauline Beaudemont. La danseuse répond à la citation du Corbusier : « Si on  mettait un toit au-dessus de la ville, on aurait le plus grand bordel du monde ». Entre évocations sexuelles, dansées et architecturales, le corps adopte des  positions qui apportent un décryptage personnel des mots du Corbusier.  L’étonnante tapisserie inspirée par la traditionnelle toile de Jouy élaborée par  Claire Trotignon. Une tapisserie où s’entremêlent des scènes bucoliques, des  paysages naïfs et des images d’une actualité violente et troublante. Sur la  tapisserie sont accrochés deux dessins, des paysages flottants qui répondent à  la toile de Jouy réactualisée, des espaces improbables, montagneux,  architecturaux. Les peintures aux nuances bleutées et grisées de Giulia Andreani  nous plongent dans une iconographique archivistique extraite de la Guerre Froide  dont elle scrute les visages. Des portraits ou photographies de groupes qu’elle  réinterprète au moyen d’une technique proche de l’aquarelle. Les jeux de  transparence et de coulures accentuent le caractère fantomatique de ces  individus disparus, enfouis dans des cartons, des albums et des films que la  jeune artiste dépoussière et confronte au présent.

L’univers troublant et  sensible d’Elise Franck qui procède par moulage, empaillage, peinture sur motif  de lieux dont elle s’imprègne. Un musée, un hôpital, un aquarium, la jeune  artiste se fait archiviste d’ambiances, de formes et d’objets qu’elle examine  attentivement et qu’elle intègre à son cabinet de curiosités. Nous terminerons  avec le travail d’Armand Morin qui mène une réflexion sur les décors de lieux  factices d’un divertissement désuet ou disparu. Il revient sur les ruines de ces  lieux où des paysages en façades promettaient du rêve aux spectateurs en mal  d’imagination. Il interroge également l’utilité et la fonction de  l’architecture, ainsi il produit une flaque de béton soulevé par des tours  Eiffel miniatures (essentiellement achetées par les touristes). Des tours qui se  révèlent être les vestiges d’un fantasme et d’un idéal  formaté.

Le jury du salon a mis en avant trois lauréats qui  bénéficieront d’une exposition au palais de Tokyo par la suite. Ils ont ainsi  choisi Maxime Chanson, Eponime Momenceau et Henrik Potter. Nous évoquions la  lisibilité du salon où chaque participant est identifié par un critique, une  donnée à partir de laquelle Maxime Chanson a travaillé. Grâce à l’élaboration  d’un tableau de classification (L’omniscient obsolète), il  a catégorisé et identifié au moyen de mots clés, de techniques et de thématiques  précises, chacun des participants du salon. Le panneau est présenté à l’entrée  du salon, parce qu’il ne le sait pas immédiatement, le visiteur le consulte  comme un plan classique. Pourtant, la lecture de ce plan hors norme répond à  notre besoin constant d’informations rapides par souci de ranger les artistes  selon des codes, des références, des techniques, des périodes. Sinziana Ravini  précise : « Maxime Chanson  sort de ces cadres qui imposent une division de travail aliénante, avec un  méta-art parascientifique qui tente de classifier les courants esthétiques  actuels. L’artiste prend la place d’un dieu omniscient. Son œil flotte sur la  scène artistique comme l’œil oudjat du dieu égyptien Horus sur la pyramide  sociétale dans l’imagerie alchimique. ».

Eponime Momenceau est vidéaste, elle  travaille essentiellement à partir de l’espace et de la lumière, deux éléments  qu’elle explore et sculpture dans ses films. Au fil de ses périples urbains,  elle restitue des évocations, des sensations et des impressions de ses  rencontres et d’une réalité sublimée par un esthétisme séduisant. Pierre  Malachin écrit : « Ce monde exotique, qu’Éponine arpente armée de sa caméra qui  saisit son errance, est d’évidence un voyage au pays des hallucinations mais  s’inscrit surtout dans une longue histoire de l’expérimentation  cinématographique où la vision et la restitution du réel est un prétexte à  l’adoption d’un point de vue critique sur ce que l’on voit et sur ce que l’on  sait. » Enfin, Henrik Potter formule une œuvre pluridisciplinaire qui se plaît à  brouiller les frontières entre les catégories prédéfinies, ni peinture ni  sculpture, ni dessin ni installation. Sandra Adam-Couralet  explique : « Il est important que le « Yes/No state » ne soit jamais  résolu. Et l’artiste travaille ses œuvres dans ce sens, en prenant soin qu’elles  soient modulaires et contaminées par des travaux antérieurs afin qu’elles soient  toujours dans un entre-deux, en constante évolution. » L’art est mis à l’épreuve  de ses techniques que le jeune artiste désarticule, associe et renverse avec  pertinence.

Dans le dédale et la densité des  propositions du salon, quelques artistes se démarquent très nettement. Des  pépites brutes dont nous suivrons volontiers les évolutions. L’édition 2012 du  salon de Montrouge répond à un besoin de qualité et d’exigence dont les 80  jeunes artistes bénéficient non seulement à travers une présentation simple et  claire, mais aussi d’un catalogue critique solide. À suivre  donc.

Julie Crenn

Salon de Montrouge, du 3 au 30 mai 2012, au Beffroi de  Montrouge.

Artistes  présentés : Cyril Aboucaya, Guilia Andreani, Jean-Marie Appriou,  Guillaume Aubry, Fabienne Audeoud, Camille Ayme, Sylvain Azam, Sarah Bahr,  Emilie Bazus, Pauline Beaudemont, Anastasia Benay, Olivia Benveniste, Léandre  Bernard-Brunel, Thomas Bernardet , David Bertram , Benjamin Bichard , Joachim  Biehler , Benjamin Blaquart, Stéphane Bouelle, Nathalie Boutté, Pavel Cazenove,  Maxime Chanson, Denis Christophel, Antonio Contador, Combo Culture Kidnapper ,  Nadège Dauvergne, Lydie Delahaye, Alexandre Diot , Thibaut Duchenne, Mimosas  Echard, Ende Wieder (François Bonnet et Thibault Caperan), Elise Franck ,  Tayierjiaang Fulati , Nicolas Garait, Geraldine Py & Roberto Verde, Laura  Gozlan, Jérémie Grandsenne, Anthony Gripon, Chang Yu Hsu, Jean Hubert, Benjamin  Husson, Eléonore Joulin, Pierre Laniau, Laure Ledoux, Eun Yeoung Lee, Vincent  Lefaix, Rafaela Lopez, Roxane Lumeret, Simon Madeleine, Maude Maris, Jonathan  Martin, Matthieu Martin, Benoît Menard, Marc Molk, Nicolas Momein, Eponine  Momenceau, Arnaud Morin, Marianne Muller, Nicolas Muller, Agathe Pitié, Henrik  Potter, Jean-François Rioux – Cosson, Tiéri Riviere, Benjamin Royer, Ludovic  Sauvage, Thibault Scemama de Gialluly, Anne-Lise Seusse, Silures (Jean-Baptiste  Alazard, Martin Alazard, Lise Lacombe et Matthieu Marre), Keen Souhlal, Nicolas  Témieau, Olivier Terral, Aldéric Trével, Vincent Tricon, Romain Trinquand,  Claire Trotignon, France Valliccioni, Cyril Verde, Charles Veyron, Philip  Vormwald et Lucie Watts.

Master  Class Du 03 mai 2012 de 18h à  20h Rencontre  publique avec le président du Jury et l’invité d’honneur de cette nouvelle  édition. Visites-découvertes Les  dimanches 6, 13, 20 et 27 mai 2012 à 15h et 16h. Une approche sensible mais décomplexée de la création  contemporaine. Avec la participation de l’association « Art Eveil ». – Nocturne Ouverture du Salon de 19h à 23h le mercredi 16 mai  2012 – Journée interdite aux parents Mercredi 23 mai 2012 de 12h à 18h. Un parcours-découverte au cœur de l’art contemporain pour  les aventuriers en herbe. La rencontre d’un artiste « pour de vrai ». Ainsi que  le vote pour élire le prix Kristal (Sélection du jeune public). – Remise du prix Kristal Mercredi 30 mai à  15h.

Plus d’informations : http://www.salondemontrouge.fr/

Visuels : 1. Joachim Biehler. Like Annette. Collage Numérique. 2011.  Courtesy Joachim Biehler.
2. Giulia Andreani. 2’53 »(бабочка). Acrylique sur toile. 2011. Courtesy Giulia Andreani.
3. Jérémie Grandsenne. Sans titre, de la série Le Chat et nous // [GOD] Untitled, from the Le Chat et nous  (Of cats and men) series. Encre acrylique sur page de livre. 2008. Courtesy  Jérémie Grandsenne.

Laisser un commentaire

  • Mots-clefs

    Art Art Bruxelles Art New York Art Paris Art Venise Biennale de Venise Centre Pompidou Danse Festival d'Automne Festival d'Avignon Festivals La Biennale Musiques Palais de Tokyo Performance Photographie Théâtre Tribune
  • Archives