CARNETS DE BEYROUTH # 07 : BEYROUTH NE ME QUITTE PAS
CARNETS DE BEYROUTH par Flora Moricet (# 07) Beyrouth ne me quitte pas.
J’ai quitté Beyrouth. Beyrouth m’a quittée.
Quitter le Liban. Se séparer de ces accents plein le ventre, des montagnes de la Beqaa comme des mers de Tyr, des citronnades de Batroun, cette petite ville côtière en forme de calme, quitter Tripoli pas assez arpentée. Tripoli, la belle villageoise, l’ensorceleuse un peu farouche. Tripoli, la dame de pierre. La dame de proie.
Anjad je quitte, je quitte cette terre imprévisible, du prophète de Khalil Gibran surplombant la Kadicha aux montagnes que j’aurais cru afghanes.
Son Chouf vert renversant peuplé de Druzes en habits blancs comme neige éternelle.
Anjad I leave Beirut et sa bière trop douce, l’Almaza. Beirut ma3 Arak que l’on aspire avec son k.
Beyrouth et ses rues au bout du tutoiement, ses taxis fous
Spontanéité pour code prioritaire
Quand est-ce que vous voulez venir prendre un verre chez nous? … Chou… ?
Est-ce que vous êtes fiancés ? Est-ce que vous êtes mariés ? Est-ce que vous êtes pédés ?
Yahé chou… ?
Un air de Ziad Rahbani, le fils de Fairuz, au Zico House, le bar qui sert à qui veut rire, où l’on finit par s’y servir parce que c’est un peu comme à la maison
Beyrouth et ses bouts de verre dans le ventre
La dabké danse sur du verre
Beyrouth dont les théâtres viennent à se transformer en hôtel et les jardins en parking c’est selon
Mais la culture ne manque pas de répartie. Elle grouille en dehors des sentiers institutionnels
Et investit la mémoire libanaise à elle toute seule.
Beyrouth alors ne s’oublie guère
De ses façades qui mènent droit sur la mer, sans fenêtres, à même l’os. Non meublées, ces maisons donnent à lire droit dehors.
La chair à ses fantômes
L’historien de Beyrouth est une maison en ruine,
C’est la maison jaune de Sodeco que la Mairie de Paris promet de —–
Et
Beyrouth-pluie
Beyrouth femme de l’excès
Belle endormie
Qui pleure tout un hiver
Avant de s’oublier dans les sueurs étincelantes une fois l’été
C’est quitter Sabra, Chatila, Mar Elias
Ces zaroubs, couloirs de Palestine
Etroits couloirs où l’on passe un par un
Où l’on déguste nombreux à même la terre
Un autre fattouch
A succomber toute une vie
A même la terre
La terre d’exil
Beyrouth de Darwich
Beyrouth visages de Syrie
…
Beyrouth, la belle endormie
Sur ses checkpoints
Où l’on se demande qui l’on est pour prendre en
Découper des images et dérober des impressions
Parce que l’on vient de l’outre-méditerranée,
Arrivé plutôt gelé par des paroles médiatiques
Qui l’on est pour en parler
Venus de la françophonie
Beyrouth,
Je t’écris une lettre à la mer
Me liras-tu
Cloîtrée dans tes frontières
Beyrouth-échappée-belle
Je t’écris aujourd’hui d’un pays bien lisse
Je pense à te revoir
A nous revenir
Car je ne t’ai pas assez écrite, et te devine encore bien mal
Je fais mine de
Mais tu es ce mystère en plein soleil
Incomprise à force de répétitions
Beyrouth,
Je t’écris d’un pays suspicieusement beau
D’une France trop pure pour m’intéresser après toi
J’ai atterri, j’ai retrouvé Paris et j’ai vomi
Toutes ces absences qui s’agressent en sous-terrain
Dans son métro de mannequins sans lèvres
Ses trottoirs et ses feux rouges et ses piétons passages
Je t’ai pleurée
Et suis partie disperser ma mélancolie au soleil
Sur les routes plus sages de France, entre-radars
J’ai retrouvé de tes oliviers
De tes acteurs à Avignon
Et même des places que je t’imaginais, des terrasses qui t’iraient bien si tu portais moins de voitures
Beyrouth,
Je manque de ruines,
Je manque de failles sur lesquelles danser toute la lune.
Reviens-moi
Flora Moricet, juillet 2012.
Photo Flora Moricet
Chere Flora. Tes mots m’ont beaucoup touchée. Je suis éditrice au LIban et je prépare un livre sur les aspects positifs de mon pays vu la déprime ambiante. Je comprends parfaitement ce que tu ressens vu que cela fait depuis que je suis nee que je suis visceralement attachee a ce bout de monde qui est le mien. Je voudrai savoir si je peux avec ton autorisation reproduire ton texte ou quelques extraits sur le site de ma maison d’edition ou encore dans mon livre. Merci de me repondre sur tamyras@tamyras.com A bientot. Tania Hadjithomas Mehanna, directrice de la maison d’edition Tamyras.