BIENNALE DE VENISE : LES PAVILLONS NATIONAUX ONT ENCORE DE BEAUX JOURS DEVANT EUX…
Envoyé spécial à Venise.
55e BIENNALE DE VENISE / Les Pavillons à l’Arsenale et aux Giardini / Du 1er juin au 24 novembre 2013, Venezia.
La Biennale est ainsi faite qu’elle consacre depuis sa naissance les nations et leurs représentations. Un choix idéologique qui a ses racines dans l’aventure Biennale même, depuis ses origines jusqu’encore aujourd’hui où pourtant les transversalités et la mondialisation aidant, les frontières s’effacent heureusement au profit des artistes et de leurs oeuvres.
La volonté est cependant manifeste de la part de la direction de la Biennale, depuis quelques années, de substituer à ce principe désuet et un tantinet dangereux du Pavillon national des passages et passerelles, tout comme l’ouverture à une quantité croissante de pays participants. Ainsi cette édition compte t-elle 88 pavillons nationaux, des plus « prestigieux » aux plus discrets…
A L’Arsenale, quelques excellentes représentations nationales ont focalisé le public : celle de la Turquie avec le travail remarquable d’Ali Kazma est de celles-là. Ali Kazma occupe la salle modeste allouée à la Turquie avec une suite superbe de projections vidéo, toujours très justes, formidablement « osées » et engagées. Un très beau travail qu’il s’agit de savourer en prenant son temps.
Tout juste à côté, le Chili propose une oeuvre tout simplement majestueuse d’Alfredo Jaar. Son « Venezia, Venezia » est une sculpture aquatique d’imposantes dimensions qui joue la surprise : en effet, la première vision en est ce bassin de métal accueillant une eau glauque et immobile, l’eau de la lagune, toujours bouchée, verdâtre et malsaine. On pourrait rester simplement en contemplation devant ce morceau de lagune si d’un coup -et silencieusement- un dispositif hydraulique ne faisait émerger dans les eaux du bassin une maquette à l’échelle des Giardini et de leurs pavillons ! Superbe métaphore que l’engloutissement et la résurgeance alternativement de ce haut-lieu de la Biennale, à l’image de cette ville tout entière vouée à l’anéantissement par les eaux et à la disparition, tout comme peut-être l’art et les grandes machines de l’art ?
Pas très loin du pavillon chilien et de son oeuvre majeure d’Alfredo Jaar, le pavillon du Liban accueille Akram Zaatari pour des projections plutôt réussies. Son pays remué, le Liban, étant au coeur des préoccupations de l’artiste, tout comme les mouvements qui agitent la région. Ainsi, Zaatari a choisi une pièce rendant hommage à un pilote israëlien qui en 1982, a désobéi à ses cadres et jeté à la mer les bombes initialement destinées à raser Beyrouth… Une position plutôt courageuse d’un artiste très concerné… En tout cas, les oeuvres projetées sont belles, signifiantes, l’ensemble respire une paradoxale sérénité.
Comme à l’accoutumée, le pavillon italien n’est pas celui que l’on préfère, avec son bordel ambiant qui fleure bon l’amateurisme et l’approximation conceptuelle des jeunes artistes qui l’occupent… Mais bon, on est à Venise, et la direction ne peut guère occulter son propre pays d’accueil… Plus loin, ou plus proche, quelques bonnes surprises comme le pavillon du Kosovo, par exemple, n’arrivent tout de même pas à nous distraire des précédents, pas plus que du très fort « Palazzo Enciclopedico » curaté par Massimiliano Gioni (Cf notre article spécifique).
Aux Giardini, les gros morceaux sont là, et bien là. A commencer par le pavillon allemand, qui accueille Anri Sala dans le cadre d’un échange avec la France. Malheureusement, l’énorme queue qui stagne des heures dans l’espoir d’accéder à l’installation de l’artiste français -et ce dès les previews- a dû en dissuader plus d’un ! En face le pavillon français accueille entre autres artistes représentant l’Allemagne, Ai Weiwei, et la queue quoique plus modeste y est tout aussi dissuasive. D’autant que l’installation de la star chinoise n’est pas sa meilleure pièce à la Biennale, mieux valant aller voir son superbe « Sacred » à l’église San Antonin du Castello, ou son autre installation à la Giudecca. (Cf notre article).
Le pavillon anglais n’est pas celui que l’on retiendra particulièrement non plus, tout comme les pavillons suisse et japonais, parfaitement dispensables. En revanche, le pavillon israëlien présente une belle installation vidéo, assez maline, de Gilad Ratman. La Belgique montre une bonne pièce de Berlinde de Bruyckere, impressionnante, bien dans son style, plutôt repérable. A côté, le pavillon espagnol propose une installation de Lara Almarcegui, soit des tas de gravats et autres matériaux d’excavation et de démolition qui squattent la totalité du pavillon.
Shary Boyle occupe le pavillon du Canada, et ses oeuvres sont plutôt agréables, même si l’on a déjà vu d’elle des pièces plus percutantes. Les Etats-Unis montrent Sarah Sze, mais ses installations maniaques et chichiteuses ne convainquent guère. La Hollande déçoit également, quant à la Russie, elle est fidèle à l’image qu’elle montre d’elle à chaque Biennale : sans intérêt. Restent quelques « petits » pavillons comme la Hongrie, la Finlande ou la Pologne où certains pourront peut-être y trouver leur bonheur…
Heureusement, le pavillon flottant du Portugal, ancré devant la sortie principale des Giardini constitue une excellente surprise… Malins, les Portugais ont installé un bateau décoré d’azulejos sur les quais des Giardini, où ils accueillent Joana Vasconcelos, qui représente son pays de fort belle -et amusante- manière… Il faut monter sur le bateau, et en apprécier son installation dans les soutes.
Bien sûr, beaucoup de pavillons sont disséminés dans toute la ville. Il faut donc parcourir les ruelles parfois saturées de touristes, et s’armer de beaucoup de patience… Ou choisir simplement de flâner au hasard, et tomber sur une perle ou une autre… La magie vénitienne de la Biennale, cent fois goûtée et cent fois plébiscitée…
Marc Roudier
Visuels : 1 & 2 : Alfredo Jaar, Pavillon chilien / 3 : Ali Kazma, Pavillon turc / 4/ Joana Vasconcelos, Pavillon portugais / Copyright les artistes et Biennale de Venise 2013.