FESTIVAL ACTORAL : DES FORMES EN TOUTES LIBERTES
ACTORAL 2013 / du 24 septembre au 13 octobre 2013 / divers lieux Marseille.
Dense et foisonnante, la programmation de la treizième édition d’actOral, festival fondé par l’auteur metteur en scène Hubert Colas, s’étoile dans plusieurs lieux de Marseille. Elle déroule son fil conducteur – l’exploration des écritures contemporaines, à la fois dans des lieux d’art (dans des galeries, des musées, des théâtres, au KLAP Maison pour la Danse, à la librairie L’Odeur du Temps, au cinéma Le César) dont plusieurs nouvellement ouverts à Marseille (le théâtre Joliette-Minoterie, le Mucem et la Villa Méditerranée) et dans des lieux non artistiques (la Maison de l’Avocat, le château de la Buzine, le centre commercial Bonneveine…).
Influencée par Marseille-Provence 2013, cette programmation voit une hausse des créations qui sont déjà ce que des programmateurs appellent « des pièces abouties », voire qui ont déjà été vues dans les festivals comme Avignon, Artdhanté ou le festival d’Automne. Ce qui est heureux.
Il y a toujours eu ce parti pris dans ActOral depuis son ouverture en dehors du centre Montévidéo, mais cette année, la tendance s’affirme. Ainsi, on pourra voir Quand je pense qu’on va vieillir ensemble des Chiens de Navarre (le 10 oct au Gymnase), La muerte y reencarnacion en un cowboy de Rodrigo Garcia (11 et 12 octobre à la Criée), ou des pièces de Rabih Mroué et Lina Saneh (Qui a peur de la représentation ? le 2 oct., Appendices le 3 oct., et 33 tours et quelques secondes le 5 oct. à la Villa Méditerranée qui leur consacre un « portrait », et avec le 2 oct une proposition du cinéaste plasticien Eric Baudelaire). Viennent aussi des figures de la scène contemporaine : la délicate maîtresse es fantasmes Gisèle Vienne (Le Merlan, 3<4 oct) avec une création, Pyre, sur un texte de Dennis Cooper, création qui sera accompagnée d’une lecture de Jonathan Capdevielle, fidèle interprète des pièces de la chorégraphe, d’un texte du même Dennis Cooper ; la starissime François Chaignaud (Думи моі [dumy moyi] Montévidéo, 28 sept, trois fois) ; le très sarcastique auteur-rocker Christophe Fiat qui occupe le château de la Buzine le 28 sept pour une intervention au titre prometteur : Les superpouvoirs de Marcel Pagnol ; et l’éclectique artiste belge qui vient des arts visuels : Miet Warlop (Mystery Magnet, 8<10 oct, La Criée) ; les inénarrables et excellents Odile Darbelley et Michel Jacquelin (Nous ne pouvons connaître le goût de l’ananas par le récit des voyageur, 5<6 oct, FRAC PACA) ; le très secret et émouvant artiste iranien Amir Reza Koostani avec une création commandée par actOral, Timeloss (9<10 oct, Friche de Mai). Aussi, des artistes déjà confirmés viennent, via des projets initiés avec la SACD, au théâtre Joliette-Minoterie : les 8<9 oct, Yves-Noël Genod (avec Jean-Michel Espitallier, Pour une fois que nous ne sommes pas morts), Sophie Perez (avec Nathalie Quintane, Broute solo, 8<9 oct), les chorégraphes Latifa Laâbissi (avec Casey Re / Dis / Appearing) ; et, les 11<12 oct Olivia Granville (avec Grégoire Bouillet, L’invité mystère (précipité), ce projet étant cosigné Manuel Vallade) ainsi que Marc Lainé avec Nicolas Doutey (Théâtre et Amitié).
Il y a aussi des créations qui viennent d’artistes émergents mais qui donnent très envie de les rencontrer : ainsi de la serbe Matija Ferlin avec Sad Sam Lucky (Bernardines, 24 sept) et The Other At The Same Time (KLAP, 28 sept) ou d’Italiens au Merlan via le programme « Face-à-face, Paroles d’Italie pour les scènes de la France » avec deux mises en lecture de Stefano Massini et Marco Martinelli et Ponts suspendus de Gustavo Giacosa (ne pas y amalgamer Salvatore Calcagno qui est un bruxellois d’origine italienne avec La Vecchia Vacca, (30<1er oct, Les Bernardines).
La programmation peut sembler foisonnante et protéiforme, voire trop, mais les soirées sont clairement organisées selon les lieux : la soirée au KLAP– Maison pour la Danse du 28 sept. permet de voir une mise en lecture d’Hubert Colas du texte d’Annie Zadek Nécessaire et urgent, The other at the same time de Matija Ferlin et Ce ConTexte du chorégraphe Yaïr Barelli. Mais avant tout, la programmation se tisse d’un jour à l’autre entre des auteurs et des écritures de la scène : Ecritures chorégraphiques, écritures plastiques, le seul point commun des pièces présentées est de n’être signées d’aucun metteur en scène de théâtre pur et dur (excepté peut-être Amir Reza, encore que sa manière reste plus plastique que dramaturgique).
Comme les années précédentes, et en regard de cette partie de la programmation évoquée, l’écriture textuelle sera mise en avant. Ce sont avant tout des auteurs qui cherchent à explorer une oralité. Beaucoup de ces auteurs seront lus, et deux poètes sonores spécialement cités : Anne-James Chaton qui signe Portrait présenté dans trois lieux (Montévidéo, Maison de l’Avocat, Galerie Porte Avion) et dont le vernissage marque l’ouverture du festival le 24 septembre, ainsi qu’une performance épique avec Nosfell le 28 sept. au KLAP ; pour le précurseur Bernard Heidsieck, ce sera le lendemain, au centre d’art alternatif La Compagnie, dans le quartier populaire, central de Belsunce, le vernissage d’une exposition qui lui est consacrée sous le titre Poésie action. Puis, Nec plus ultra, une carte blanche est confiée à Julien Blaine (Montevidéo, 1er oct.), invitant Vincent Tholomé & Maja Jantar (Cavalcade) et Jean-pierre Verheggen (Entre Saint-Antoine et San-Antonio).
Beaucoup reste à dire, à mettre en valeur dans cette programmation qui réunit plus de cinquante artistes, mais l’important est de consulter la plaquette-programme, ou d’aller voir le site d’actOral.
Pour finir, j’aimerais revenir sur un des textes d’introduction de cette plaquette signé par Anne-James Chaton. « Donner un nom, écrit-il, fut-il commun, n’est pas chose facile. La difficulté agite le cerveau des philosophes depuis deux millénaires. Et pour cause. Prenons un exemple : le nom de performance. Une fois prononcé, ou écrit, le nom, dit commun, désigne une chose et rassemble par le même coup, toutes celles apparentés. » Anne-James Chaton propose alors une « nomologie », « une science » : « Une forme de gai savoir des formes à la recherche de nominations à usage unique, comme une ME+ (“mise en scène plus” ou “mise en plus en forme” ou “mise plus sur la forme”…) ou une PM (perfomuse ou perusique ou mumance ou formansique…), ou encore une LP (lectance ou perfure). La nomologie augure d’un savoir à la portée de tous dès lors qu’il revient à chacun d’inventer ses propres noms communs à propos de chaque chose, en tout lieu et en toute occasion ».
Aussi pertinente soit cette recherche du nom juste et cette angoisse vis-à-vis de la performance, je me demande s’il est si important que cela de nommer le genre, la classe, l’espèce, ou la tribu à laquelle telle ou telle chose ou personne appartient. Cette question empoisonne la scène avec la question de savoir si c’est du théâtre, de la danse, voire de la performance. Cataloguer, fut-ce à la manière de Sade dans les 120 journées de Sodome qui liste les infinies singularités du fantasme, me semble, non pas dépourvu d’intérêt mais périlleux car très en tangence avec la question identitaire, aujourd’hui si obsédante et minant le terrain politique, car c’est d’abord un critère d’exclusion. Est-il si intéressant de savoir où se situe un artiste sur une soi-disante échelle de Richter des formes, ou même à travers cette recherche d’un nom propre totalement singulier à chacune de ces formes, de mettre en relief l’impossibilité de classer sinon sur le mode d’un cabinet de curiosités, d’une chambre des merveilles ? Ou ne vaut-il pas mieux regarder sans chercher à identifier, pour se laisser envahir par cet inconnu de la forme non identifiée a priori ? (Comme dans certaines rencontres sauvages où l’on ne cherche pas à savoir comment s’appelle l’autre ?) Ne vaut-il pas mieux, à partir de ce regard silencieux, intense, chercher à nommer où chaque pièce emmène, sensiblement, en pensées ?
Ce qui est, à mes yeux, le sens de l’exercice critique, qui permet ainsi d’entrer dans un dialogue avec la pensée des artistes, de leur renvoyer des échos de ce qu’ils font et qui les traverse ?
Plus essentiel, il me semble, ce sont toutes les pensées, les univers, les regards, brassés par cette édition, traversant les pièces, où en effet l’identité semble revenir comme une lancinante obsession, cela, souvent à travers des pièces dont le sujet est une critique ou une interrogation voire un remontage des formes ou de styles esthétiques.
C’est une question que je pose.
Mari-Mai Corbel
programme complet sur http://www.actoral.org/
Visuel : Anne James Chaton, photo DR