ALESSANDRO SCIARRONI AU FESTIVAL D’AUTOMNE : IL N’Y A PAS D’AILLEURS…
Alessandro Sciarroni : FOLKS_will you still love me tomorrow / UNTILTED_I will be there when you die / Festival d’Automne, du 2 octobre au 30 décembre 2014.
Alessandro Sciarroni, metteur en scène et chorégraphe italien, présente trois de ses pièces lors du Festival d’Automne à Paris. Parmi elles, FOLKS_will you still love me tomorrow et UNTILTED_I will be there when you die sont les deux première parties d’un triptyque autour de la question des « pratiques ». Alors que le premier s’attaque au Schuhplatter, une danse folklorique bavaroise (voir critique Inferno ici), le second s’appuie sur la pratique du jonglage. Un troisième volet encore non-réalisé portera sur le Goalball, un sport pratiqué par des aveugles et des malvoyants.
Répétition du geste et présence à soi
Les deux premières pièces se basent sur des principes simples : la répétition de gestes du début à la fin, alimentée par des séries de variations qui forment la composition dramaturgique du spectacle. La durée, travaillée par cette répétition, qui s’étire, s’allonge et paresse sur scène comme un chat alangui. Une ultra-présence des performeurs enfin, concentrés à l’extrême dans un mouvement apparemment sans fin qui teste leur endurance à force de gestes et de déplacements.
Dans FOLKS, ils sont six, cinq hommes et une femme, à enchaîner des séries de claps et de mouvements vifs sur une playlist aléatoire. Ils danseront jusqu’à ce que le dernier spectateur sorte de la salle ou que le dernier danseur quitte le plateau. Règle du jeu imperturbable, inflexible, entre liberté enivrante et jeu masochiste que chacun s’inflige à soi-même en même temps qu’à l’autre.
Ils sont quatre jongleurs dans UNTILTED à défier la gravité. D’abord seuls, puis en groupe, ils jouent à lancer des massues dans les airs et à les rattraper d’une main de maître. La règle est ici différente : si jamais l’un d’eux laisse s’échapper une massue sur le sol, au lieu de la récupérer comme si de rien n’était, il devra s’arrêter et prendre le temps de la concentration avant de la lancer de nouveau. Peu-à-peu une communication par le geste et le regard se met en place malgré la pauvreté de leurs artifices.
Ces règles sont comme le tic-tac de l’horloge, obsédantes. Elles capitonnent la répétition des gestes et rassemble le groupe autour de principes non négociables où le mouvement se vit sans coloration, sans relief dramaturgique, ni réminiscence poétique. Chaque membre vit sur scène dans un « ici et maintenant » anxiogène. Leur présence exacerbée, comme dans le Triple Elvis (Ferus Type) peint en cowboy par Andy Warhol (1963), aplanit la réalité jusqu’à la rendre inconsistante. C’est comme si cette quête de l’extrême présence à soi était en fait le symptôme d’une angoisse de l’après à plusieurs.
La mort des Idoles
Si dans UNTILTED les massues dessinent de jolies ellipses aériennes et que dans FOLKS les variations introduites dans la chaîne de claps exercent un certain pouvoir de fascination, il n’en reste pas moins que le présent ne se mesure qu’à l’aune d’un étalement du geste performatif sur sa surface de projection : la scène. Les références à un ailleurs lointain, telle cette « ligne bleue des Vosges » autrefois rêvée par le philosophe Walter Benjamin, sont ici bannies à jamais. Le temps n’est pas linéaire mais circulaire, tel le serpent qui se mord la queue.
Les performeurs ne se laissent pas emporter par la fatigue. Cette dernière, comme dans les danses grevées par la transe, pourrait altérer leur concentration, déplacer leur centre de gravité, faire bouger les minuscules lignes qui nervurent leurs corps et traversent leurs mouvements pour enfin positionner l’individu dans cette zone d’inconfort qui s’appelle l’inconnu. Cependant, point d’inconnu ici, mais un mouvement de groupe qui tâche de sauver le présent. Quand idoles sont mortes, il ne nous reste plus qu’à bouger.
Quentin GUISGAND
FOLKS_will you still love me tomorrow : du 4 au 8 novembre au Théâtre Monfort; puis le 6 décembre au Théâtre Louis Aragon à Tremblay-en-France.
UNTILTED_I will be there when you die : les 13 et 14 novembre au Centre national de la Danse; du 18 au 22 novembre au Théâtre Monfort ; puis du 26 au 30 novembre au CENTQUATRE.
Visuels : 1- Folks photo Andrea Macchia / 2-Untitled photo Alfredo Anceschi / 3- Andy Warhol « triple Elvis » 1962, copyright the Estate of Andy Warhol