XAVIER LE ROY : SANS TITRE (2014), UNE PIECE HORS-SOL
Xavier Le Roy, Sans Titre (2014) / Au Théâtre de la Cité internationale, 8 > 13 décembre 2014 dans le cadre du Festival D’Automne à Paris.
Xavier Le Roy est un habitué du festival d’Automne. C’est ainsi avec régularité qu’il nous présente des pièces qui s’attachent à ré-agencer les règles théâtrales dans un esprit d’expérimentation. Parfois absurdes, souvent arides, ses travaux sont comme de petits laboratoires sur l’art de faire du théâtre. Le chorégraphe, ancien étudiant en biologie moléculaire, met en tubes les composants scéniques et les conventions historiques pour nous livrer des objets rarement identifiables, souvent hermétiques.
Rejetant le spectaculaire, Xavier Le Roy refuse ainsi de faire du « beau ». Ces pièces ne touchent pas au représenté mais questionnent les mécanismes de la représentation. Elles ne sont pas des objets présentant des corps, des matières et des textures capables de provoquer chez le spectateur des émotions. Elles vont en deçà et proposent un nouveau régime de l’art, une nouvelle relation entre le regardant et l’objet scénique. Ce faisant, le spectacle acte une renégociation latente que l’artiste engage avec l’art de la représentation.
Une oeuvre en trois actes
Mais revenons au spectacle. Dans la première partie, nous voyons l’artiste s’avancer devant nous, penaud, un papier à la main. Nous nous attendons à ce qu’il nous présente une conférence sur un travail qu’il a initialement créé en 2005. Cependant, il a oublié son texte, son contexte et son prétexte. Il lit donc la présentation de la conférence que l’on trouve sur la feuille de salle et demande au public de l’aider. Deux personnes jouent le jeu. Le reste de l’assistance reste dubitative devant ce simulacre de théâtre participatif.
Les deux autres actes sont plus dansants. Le deuxième nous montre la pièce dont il devait nous parler lors de sa conférence, comme la mise en abyme d’un irréprésenté. Dans une lumière tamisée à la limite du clair-obscur, un danseur anonyme malaxe un mannequin dans un corps-à-corps étrange et sensuel. Puis l’intensité lumineuse l’élève, la musique de Béla Bartók arrive, et l’on voit un second mannequin s’agiter dans les airs dans une farandole belle et saugrenue.
Le troisième acte continue dans cette même veine et l’on voit le chorégraphe redevenu danseur s’agiter sous les directives impératives de fils invisibles. Tel un pantin désarticulé, des écouteurs visés sur les oreilles, il bouge comme on danse dans une boîte de nuit. Le public n’enregistre cependant que les images sans le son. Ce décalage permet au spectateur de faire un focus sur le mouvement de cette danse non chorégraphiée.
Un objet théâtral sur le théâtre
Cherchant à « échapper à la reconnaissance des choses », Xavier Le Roy produit des situations hors-sol. Déconstruisant les règles du théâtre, il produit un art déterritorialisé, une pièce sans référents, existantes pour elles-mêmes, dans une circularité de sens et d’esprit. On risque la tautologie : sans verser dans l’iconoclastie et la provocation, le théâtre produit un objet de théâtre pour s’interroger sur le théâtre.
Pourtant le deuxième acte de la pièce n’est pas sans délivrer un effet de « beauté », une émotion esthétique produite par la lumière, la musique et un état de corps particulier. Mais c’est comme si l’agencement de ces trois composants scéniques était présenté pour mieux les déconstruire : le troisième acte ôte la lumière, ne garde que la trace visible de la musique (les écouteurs), ne conserve que le mouvement non chorégraphié.
Parfois on rit devant cette forme sans titre et sans but identifiable. Mais on rit comme on se moque gentiment de quelque chose que l’on n’arrive pas à identifier. Cette pièce est plutôt comme un essai de pensée, un test de laboratoire qui cherche à se frotter aux conditions réelles du spectacle. On a l’impression d’être resté dans un vase clos pendant une heure, assistant laborantin et spectateur de théâtre. Même si l’on comprend l’aspect expérimental de la chose, ce sentiment se révèle être assez désagréable.
Quentin GUISGAND
Visuel (c) Jamie North-Kaldor Public Art Projects